Je suis mal vêtu. C’est toujours comme ça, la première fois. J’ai froid. Un rideau d’hiver fripe le trottoir glacé. Des flocons errent dans l’air, sur mes joues et sous mes chaussures mouillées.
La nuit est anormalement calme, tandis que je gravis la côte d’Abraham pour atteindre la rouge cabane suisse de La Grolla. Les lampadaires se donnent des airs d’arbres dénudés répandant de jaunes frissons de lune sur la rue. J’aime m’imaginer qu’une fois la porte traversée, je débarquerai en Suisse. Que la sympathique Grolla peut me transporter, m’offrir un fragment de voyage, un dépaysement, un instantané de réconfort.
C’est que la cuisine ne m’importe pas (je veux dire, pas encore) lorsque j’entre à La Grolla. Ce qui m’importe, c’est l’âcre odeur de fromage, assaillante et lourde; les poutres de grange rabotées; les épis séchés qui pendouillent en bouquets comme des bananes; les tables isolées aux coussins à carreaux blancs et rouges; les tuques agglutinées que les clients n’ont pas enlevées, se contentant de rire et de se réchauffer. Et surtout, surtout, la noirceur ambiante, truffée des pinceaux de feu des chandelles.Avec bonne humeur, notre serveuse nous installe dans la "bouche", table intime en forme de demi-lune où nous pourrons enfin filtrer à travers l’étonnant choix de plats proposés. Nous calons nos tuques et arborons nos pommettes les plus roses.
La charmante skieuse d’en face (on reste concept) et moi convenons de nous laisser couler dans le familier. Nous adoptons un huileux riesling alsacien. Sa fraîcheur fruitée nous accompagnera tout au long du repas. Juste parfait.
Et la boustifaille? On est ici pour ça, non? J’y arrive, brave lecteur. Ce n’est pas de la haute gastronomie, non. C’est un bouleversement, un océan de mots typiques à la Suisse: pierrade, rösti, viande des grisons, tartelette saviésanne, papet vaudois, croquant de Sbrinz. Beaucoup de fromage, bien sûr.
L’entrée est frugale: moelleux escargots gratinés pour Geneviève, qui admire l’équilibre de l’ail, très pacifique; mon papet vaudois (un mélange de poireaux, de pommes de terre et de saucisses au chou) se laisse engoncer dans ma bouche sans ménagement. C’est agréable, sans être extraordinaire.
La fondue suisse du diable (cognac et sauce harissa) de la demoiselle se laisse tendrement lover autour du pain (mais sans piquer la langue), jusqu’à ce qu’une dame vienne lui gratter avec vigueur sa "religieuse". À ce moment, Geneviève s’abandonne en prières silencieuses. C’est croquant, la croûte cuite, et ça goûte plus fort. Le son crissant de l’ustensile au fond de la poêle ne me dérange pas le moins du monde, car j’en suis encore à jubiler devant ma pierrade de cerf rouge, son médaillon bien saignant gisant sur la lourde pierre brûlante. Ses accompagnements (une galette de pommes de terre au fromage, le rösti, ainsi que des légumes au chou rouge mariné) se marient bien au boisé de la chair.
Loin de nous douter que le dessert décevra (une crème brûlée au gruyère tiède et une fondue à l’érable froide et sans texture), nous rions à cour joie avec nos voisins. C’est que la musique (tantôt du Al Green suave, tantôt un ukulélé énergique) est si hilarante que nous ne pouvons nous empêcher d’apprécier ce petit bout d’hiver, partagé dans la chaleur d’un âtre sis au creux des Alpes.
EMBALLANT /
L’expérience immersive et les aliments typiques (importés de la Suisse).
DÉCEVANT /
Le prix des plats un peu trop élevé.
COMBIEN? /
Pour deux, 100 $ le soir (excluant boissons, taxes et service).
QUAND? /
Tous les soirs, dès 17h.
OÙ? /
La Grolla
815, côte d’Abraham
418 529-8107
www.restaurantlagrolla.com