Restos / Bars

De la cuisine à la banque : L'addition, s'il vous plaît!

À voir le nombre de restaurants qui ouvrent chaque année à Montréal, on pourrait croire que le métier de chef-propriétaire est payant. De la cuisine à la banque, quelle est la réalité?

"À l’école, on nous apprend que 30 % de l’addition du client doit aller aux produits, alcool compris, 30 % à la main-d’oeuvre et 30 % en frais fixes: loyer, assurances, etc. Ce qui laisserait 10 % dans les poches du propriétaire, explique Christine Lamarche, copropriétaire de Toqué! et de la Brasserie T! et collaboratrice de Normand Laprise depuis 1993, avant d’ajouter: "Mais au Toqué!, ce serait plutôt 35 % de l’addition ou plus qui va au coût des produits… Quand on arrive à 36 %, on se pose des questions…" Évidemment, à la table de Normand Laprise, les produits – haut de gamme, faut-il le préciser – changent, et leurs prix aussi, selon les saisons et la disponibilité. La main-d’oeuvre y coûte plus cher également que les calculs que l’on apprend dans les écoles de cuisine. Une assiette chez Toqué! peut comprendre 12 produits. Il en faut du monde en cuisine pour la dresser!

Mais au-delà de la haute gastronomie, l’addition n’est pas plus facile pour les restaurants de notre quotidien, même pour ceux qui ont décidé de miser sur la bonne soupe. "Les gens croient que parce que nous offrons des soupes et des sandwichs, nous faisons beaucoup d’argent", lance Caroline Dumas, patronne de six restaurants SoupeSoup à Montréal. Rien ne pourrait être plus faux, car chez SoupeSoup, tous les produits sont frais. Si un employé en cuisine met des herbes sèches au lieu des herbes fraîches dans une soupe, tout est à recommencer. Sans parler des périodes estivales qui peuvent être difficiles… "Je me suis endettée de plusieurs milliers de dollars cet été avec la canicule, dit-elle. Je pense d’ailleurs à un concept SaladeSalad pour la saison estivale." La jeune femme avoue être une "restauratrice en série". Dès qu’elle aperçoit un local sympa, elle y voit déjà un SoupeSoup. Des sept lieux portant sa marque, six lui appartiennent et elle continue d’aller faire son tour au septième, rue Saint-Denis, pour s’assurer que tout va bien.

"Aujourd’hui, les jeunes chefs qui se lancent en restauration ont compris: ils choisissent des petits locaux, explique Danielle Matte, copropriétaire du restaurant Cuisine et Dépendance avec le chef Jean-Paul Giroux. Tout augmente, le coût des produits, les loyers, les frais en tout genre, mais l’addition du client, elle, ne peut pas changer. C’est pour cette raison que Jean-Paul a décidé de travailler les produits oubliés et plus économiques, comme la macreuse, la raie et le hareng. Nous avons aussi changé la façon de présenter le produit."

Choyer son équipe et ses clients

Selon le sondage 2010 sur les salaires en restauration de l’Association des restaurateurs du Québec, le salaire horaire moyen d’un serveur est de 8,70 $ (avec un pourboire horaire de 11,67 $) et celui d’un chef cuisinier est de 17,41 $. Un chef spécialisé empoche 13,87 $/heure et un cuisinier minute, 11,43 $. Mais la réalité est tout autre. "Le troisième en bas de l’échelle dans ma cuisine centrale où toutes les soupes sont préparées gagne 16 $/heure, affirme Caroline Dumas qui tient à assurer la stabilité de son équipe. "Et les gens qui préparent les sandwichs gagnent 12 $/heure."

"Nous avons les mêmes clients depuis 20 ans, alors que j’étais au Club des Pins et Jean-Paul au Saint-Augustin, à Mirabel, raconte quant à elle Danielle Matte. Depuis plusieurs années, nous gardons à peu près le même personnel et on essaie de ne pas trop couper les heures pour le garder. Il faut dire que chez nous, il n’y a pas de nappes, pas de valet parking." Sans être enchaîné à son fourneau, le chef Jean-Paul Giroux a très peu de temps pour lui. Les vacances se font rares. "On vit de la restauration, mais il y a des périodes plus ou moins fastes, reconnaît-il. On ne fait pas ce métier pour s’enrichir, sinon on ouvrirait un St-Hubert! Et dans le type de restauration que nous faisons ici, il y a de la compétition." En 2010, ce sont 51 bistros qui ont ouvert à Montréal, jouant directement dans les plates-bandes de Cuisine et Dépendance. "Nous avons pensé aller chercher des investisseurs extérieurs, mais c’est une avenue que nous avons mise de côté", précise le chef-propriétaire. De toute évidence, on ne se lance pas en restauration pour devenir riche. "Nous le faisons par fidélité pour les clients, pour les fournisseurs et pour nos employés", conclut Danielle Matte.