Quintessence: "Ce qu’il y a de plus fin, d’essentiel, de meilleur dans une chose."
Ma visite à La Tanière dura six heures.
Six heures. C’est le temps consacré aux plaisirs sans verbe, à cette qualité bien nette de l’art culinaire où l’assemblage d’un plat transcende les aliments qui le composent.
Six heures. C’est une pellicule photographique où la découverte s’imprime, indélébile, laissant traîner derrière elle cette empreinte des premières fois que nous recherchons tous.
Six heures. De silences. De poésie. D’exclamations primaires inintelligibles.
Parce qu’il n’existe pas vraiment de mots pour décrire ces six heures d’émerveillement soutenu où le mystère est tâté du bout de la fourchette. C’est une félicité anonyme qui ne se peut plus, qui chatouille l’artiste en nous et qui déborde par en dedans.
Assis à la verrière où filtre la lumière chaude et oblique du soleil couchant, mon partenaire cuisinier de toujours, Jean-Michel, laisse errer son regard sur le salon et ses massifs fauteuils en cuir brun, puis sur les tableaux abstraits et sombres avant de s’attarder sur la formidable machine au verre, qui permet de conserver les bouteilles déjà ouvertes. Derrière ses yeux brûle l’attente de décortiquer les saveurs et d’abandonner son palais à ce que nous savons être l’une des plus avant-gardistes tables de la région.
Le service coule et danse autour de nous, un ballet à la distribution compétente qui demeure indulgente à la moindre interrogation des clients. Un cube en verre nous présente la carte à travers ses faces (elle se décline en 8, 14 ou 20 services où la mer, le gibier et la cuisine moléculaire s’harmonisent).
Nos sourires se superposent.
Coordonnés à la perfection, les services s’enchaînent: un saumon chauffé à la température du corps flotte sur une poche d’eau, l’air au miel s’évapore sur le palais, l’espuma de poivron rouge choque tant il est frais, et la caille à la cuisson sous vide est si maîtrisée que l’on en fond.
À chaque nouvel arrivant, Julie, notre serveuse, nous présente avec coeur chaque ingrédient, chaque subtilité, chaque petit bout de magie façonnée, chaque espièglerie cachée derrière les vins proposés en accompagnement. Comme ce La Butte 2009, un gamay si sexy, tout en fruits rouges et en arômes de ferme. Ou encore le surprenant Cap de Creus, un vin trouble qui hume le caramel et le porto et n’est pourtant pas sucré au goût.
Et c’est ainsi que nous sombrons, petit à petit, dans le répertoire complet des synonymes du mot jouir.
Nous inspirons chaque plat. Nous le regardons longuement. Nous touchons les textures. Une bulle rouge profonde explose son jus de betterave dans notre bouche, une fois libérée de sa coque gélifiée à l’alginate de sodium (molécule de l’algue brune). Le caviar de truffe blanche côtoie un oeuf mollet et crémeux qui ne coule pas…
Mais les mots ne peuvent aller plus loin. Ce plaisir incontournable, il faut le goûter pour le comprendre. Le vivre.
Le ressentir.
Emballant /
L’expérience globale, tant en ce qui touche la carte qui laisse sans souffle, la présentation osée des plats et l’accord mets-vins magistral que le service personnalisé.
Décevant /
Rien en particulier, sinon que l’on pourrait porter l’expérience à un autre niveau en suggérant des ustensiles ou des façons insolites d’aborder chaque dégustation.
Combien? /
Compter 69 $ par personne pour le menu 8 services, 99 $ pour le 14 services et 125 $ pour le 20 services (excluant boissons, taxes et service).
Quand? /
Du mercredi au samedi, de 17h à minuit (ouverture les dimanches, lundis et mardis sur réservation de groupe).
Où? /
La Tanière
2115, rang Saint-Ange
418 872-4386
restaurantlataniere.com