Un morceau de fromage de chèvre et une bière blonde. Une stout avec une crème brûlée ou encore une pinte de brune accompagnée de terrine à la truffe. Il n’y a pas que le vin qui s’accorde bien avec les mets. Bien au contraire. Avec l’essor des microbrasseries au Québec, la bière gagne ses lettres de noblesse et rejoint l’art de la dégustation. À Montréal et dans les environs, les cours et ateliers pour apprendre à l’accorder se multiplient.
"La bière est beaucoup plus démocratique que le vin, alors on peut construire un repas avec une bonne sélection pour moins cher, assure Olivier Laporte, formateur à Savori, une entreprise qui propose des cours sur les vins et alcools, en partenariat exclusif avec la SAQ. Depuis 25 ans, le Québec connaît un renouveau brassicole. Les microbrasseries qui ont poussé comme des champignons proposent des produits pouvant accommoder tant les fromages que les viandes sauvages, les poissons et même le chocolat.
Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi et les Québécois ont longtemps préféré manger avec un verre de vin. Peut-être à cause du faible intérêt gustatif de la bière produite ici, comme le souligne Sylvain Bouchard, sommelier en bière à Unibroue. "L’absence de bière pendant les repas au Québec est due à une conjoncture historique. Elle est devenue un produit insipide parce que nos voisins du sud ont voulu la rendre plus légère et plus désaltérante. Les grands brasseurs ont donc créé des bières plus faciles à boire qui ne goûtent à peu près rien. Or, pour accompagner un plat, il faut quelque chose qui a du goût", explique le fervent défenseur des bières d’ici. Il rappelle d’ailleurs que la fabrication de la bière revenait aux femmes, qui la préparaient pour la famille, en accompagnement du fromage – de lait de vache, de chèvre ou de chamelle – le matin.
Que manger avec ça?
Comme pour le vin, il y a des règles à suivre pour faire les bons accords.
Olivier Laporte propose de commencer avec le produit le plus doux, une blanche par exemple, pour aller vers des produits avec plus de caractère. "Un peu comme on ira du vin blanc au vin rouge, l’idée étant de ne pas saturer le palais", prévient-il. Philippe Wouters, biérologue, auteur du blogue Bières et plaisirs et Belge de surcroît, classe quant à lui les bières en quatre catégories: sucrées, acides, amères et épicées. Après, il suffit de regarder ce qu’il y a dans la recette: si on y retrouve des épices, on choisira une bière épicée; une salade avec vinaigrette appellera une note d’acidité, on se tournera donc vers une bière en fût de chêne. "Des ailes de poulet et une bière blonde, ça, c’est une belle association, lance-t-il. Je conseille toujours de respecter le palais, de ne jamais forcer les plats."
"Il y a trois familles de bières: celles à fermentation haute, celles à fermentation basse et celles à fermentation spontanée, ajoute Sylvain Bouchard. Et 99% des bières de la planète ont des propriétés techniques qui leur sont particulières. On pourrait faire un parallèle avec les cépages." Contrairement à Olivier Laporte, le sommelier en bière, qui organise des dégustations bières et mets, ne croit pas qu’il faille nécessairement aller du produit le plus doux au produit le plus fort. Il conseille plutôt d’y aller par similitude, soit sucré-sucré ou acide-acide. "On peut même aller tout à fait à l’opposé, comme sucré-acide avec aigre-doux", précise-t-il.
Heureux accords
Une dégustation fromages et bières vous tente? Voici les suggestions des experts. Pour Sylvain Bouchard, un fromage de style brie, très crémeux, se mariera bien avec une bière forte en alcool et plutôt sucrée, cela donnera en bouche un goût de sucre à la crème et de caramel. Pour un chèvre à croûte fleurie, Olivier Laporte suggère une bière avec un fond de sucre alors que pour un fromage bleu, il faut sortir l’artillerie lourde, une Fin du monde ou toute autre bière forte en alcool. Notons que Julie Binette, patronne de La Maison des fromages de Warwick, et Kévin Morin, brasseur à Multi-brasses microbrasserie, ont conçu ensemble La Fromagère, une rousse caramélisée se mariant bien avec le fromage.
Même les produits dits de luxe peuvent être dégustés avec une bière. Un foie gras, qu’on consommerait avec un sauternes, peut très bien s’associer avec une bière sucrée comme la Acero à l’érable de Boquébière, qui a une amertume typique, sans aucun gaz carbonique, ou l’Éphémère, au goût de cassis. Pour la truffe, Sylvain Bouchard conseille une trappiste brune, comme La Buteuse de la brasserie Le Trou du diable, vieillie en fût de chêne américain ayant hébergé du brandy de pomme.
La bière peut même accompagner les desserts. Olivier Laporte marierait volontiers une crème brûlée avec une bière noire et des desserts à base de fruits avec une gueuse-lambic. Philippe Wouters s’amuse, de son côté, à marier bière et chocolat de plantation d’un seul cru. Si vous avez des hésitations, faites confiance à un conseiller en bière qui saura vous guider. Et comme l’écrivait Gérard de Nerval: "Soit brune ou blonde / Faut-il choisir? Le Dieu du monde, / C’est le Plaisir."
Carnet d’adresses /
Savori: 1100, boulevard René-Lévesque Ouest, bureau 1205, Montréal, 1 855 781-2344, www.savori.ca
Unibroue: 80, rue des Carrières, Chambly, 450 658-7658, www.unibroue.com
Bières et plaisirs: www.bieresetplaisirs.com
La Maison des fromages: 5, rue Saint-Joseph, Warwick, 819 358-4477
Multi-brasses microbrasserie: 1209, rue Saint-Joseph, Tingwick, 819 359-3887, www.multi-brasses.com