Le Madrid a fermé ses portes le 31 août. Finie la halte familiale sur l’autoroute 20 à mi-chemin entre Québec et Montréal. Plus de monster trucks ni de dinosaures.
Pour les nostalgiques qui veulent garder une trace de cet établissement qui a marqué l’esprit de plusieurs générations, surtout pour son décor kitsch, un grand encan est prévu le samedi 3 septembre. L’occasion de récupérer un petit souvenir avant la démolition complète du Madrid prévue cet automne. "Nous vendons tout, explique Julie Arel, propriétaire du Madrid, qui semble sereine devant ce chapitre qui se termine. "Mon père a acheté le Madrid quand j’avais 13 ans. J’ai grandi ici. Ça fait 23 ans que j’y travaille. C’est le moment de passer à autre chose."
La propriétaire a déjà eu de nombreuses demandes d’amateurs d’objets vintage. "Je reçois sept à huit appels par jour depuis que la vente a été annoncée, mais c’est surtout pour les dinosaures. Certains veulent même les adopter", lance la femme de 36 ans. Elle-même a gardé un mastodonte qu’elle a installé dans sa cour. Comme objet, elle va conserver un petit lampion bleu, datant d’une autre époque, retrouvé dans les boîtes du restaurant. "Pour le reste, ça va être des écrits. Depuis des années, je note tout ce qui se passe dans le restaurant", précise-t-elle.
Garder l’esprit des lieux
Par manque de clientèle, par envie de changement ou pour d’autres motifs, des établissements qui ont marqué l’imaginaire collectif québécois ont fermé leurs portes. C’est le cas de la Rôtisserie Laurier qui, à son ouverture en 1936, était la première rôtisserie de la province. Sa fermeture en avril 2011 a suscité l’émoi de sa fidèle clientèle. "Beaucoup de clients avaient peur de ce que nous allions faire avec les lieux, explique Marie-Christine Couture, copropriétaire de la nouvelle rôtisserie Laurier Gordon Ramsay qui a ouvert le 10 août dernier. Ils sont attachés à l’histoire de ce restaurant. Beaucoup ont vécu leur premier amour, leur premier gros contrat ou de grosses peines sentimentales ici. C’est plus qu’un restaurant, c’est un phénomène social. Trois générations se côtoient ici."
Pour garder cet esprit, le restaurant a été rénové en jouant sur la nostalgie du lieu. Les banquettes sont d’origine et la façade extérieure a été peinte en blanc, comme elle l’était dans les années 30-40. Même certaines recettes ont été gardées dont celle du fameux cake au moka et celle du poulet grillé. Le pari semble réussi, car la nouvelle version vintage de la rôtisserie ne désemplit pas.
Or, Marie-Christine Couture précise que l’exercice peut s’avérer périlleux. "Les gens ont une mémoire et il faut être à l’écoute. Cela peut être un échec d’essayer de faire revivre une place comme celle-ci. Il faut mettre beaucoup d’énergie pour s’adapter à l’ancienne clientèle et à la nouvelle en même temps. Cela dépasse la restauration."
Enseigne d’époque
De l’énergie, il en faut parfois beaucoup pour maintenir l’authenticité d’un restaurant. Et les propriétaires du Nouveau Palais l’ont appris à leurs dépens. En octobre dernier, ils ont repris le diner qui est ouvert depuis près 80 ans sur la rue Bernard. "Nous avons aimé l’endroit entre autres pour sa belle affiche lumineuse, explique Gita Seaton, copropriétaire et chef au Nouveau Palais. Mais nous ne savions pas qu’on nous demanderait de l’enlever." En effet, il n’y a pas de droits acquis pour les enseignes de commerce. Dès que le propriétaire change, le permis d’enseigne doit être redemandé. En 2006, la réglementation sur le Plateau-Mont-Royal a été modifiée pour diminuer la taille des affiches lumineuses et dans le cas du Nouveau Palais, elle dépasse la limite. Il est toutefois possible de faire accepter l’enseigne comme projet particulier et de prouver qu’elle est un témoin de l’histoire du quartier, comme c’est le cas du Fameux, qui a pu garder son enseigne même si elle est trois fois plus grande que ce qui est maintenant autorisé. Les démarches ont été entreprises pour le Nouveau Palais.
Style récup
Que ce soit pour la mémoire collective ou pour le style, la mise en valeur de l’héritage d’un restaurant peut aussi être économique, à condition d’être bricoleur. Chez ma grosse truie chérie, le propriétaire Harold Côté a imaginé un décor composé d’objets dont une grande partie a été récupérée au Hélène-de-Champlain lors de sa fermeture. "Nous avons acheté un lot qui remplissait quatre camions de 18 roues, explique le propriétaire. Il y avait du matériel de cuisine, de la vaisselle et des meubles." Pendant deux ans, il a également parcouru les "cours à scrap" du Québec pour trouver la perle rare. "On a récupéré les tables en marbre du food-court Ville-Marie, explique l’homme. Mais cela demande des jours de recherche et beaucoup de travail de restauration. On ne trouve jamais à la même place 20 lampes identiques en bon état."
Même s’il ne souhaite pas se rendre à la vente du Madrid, d’autres vont s’y presser. Ayant tout préparé, Julie Arel les attend de pied ferme. "Des choses sont déjà réservées, prévient-elle en informant que le bonhomme diseur de bonne aventure est déjà parti. Par contre, nous avons des assiettes vieilles de 25 ans sur lesquelles nous avons imprimé "Madrid". Cela devrait plaire à nos anciens clients."
Carnet d’adresses /
Restaurant Madrid:180, rang du Moulin-Rouge, Saint-Léonard-d’Aston, 819 399-2943, www.manoir-bigfoot.com
Rôtisserie Laurier Gordon Ramsay: 381, avenue Laurier Ouest, Montréal, 514 273-3671, www.lauriergordonramsay.com
Nouveau Palais: 281, rue Bernard Ouest, Montréal, 514 273-1180, www.nouveaupalais.com
Chez ma grosse truie chérie: 1801, rue Ontario Est, Montréal, 514 522-8784, www.chezmagrossetruiecherie.com