Dans l’effervescence de ce vendredi soir qui anime un Cercle bondé, comme d’habitude, de jeunes et moins jeunes gens branchés, une question me taraude: la cuisine portera-t-elle les stigmates du départ de David Forbes? Déjà, la carte affiche quelques remaniements: moins de tapas, plus de plats. Mais qui voudrait manger en mode communautaire pourrait fort bien piger dans la costaude section des entrées, sinon opter pour La Mania (choix du chef à partager).
Je suis vite rassurée: la pleine expression des saveurs typique de la cuisine du Cercle n’a en rien été ébranlée par la promotion au grade supérieur, en janvier, d’Émile Bureau, qui était sous-chef depuis plus de deux ans. La continuité se manifeste avec panache dans nos entrées et tapas: poêlée de champignons et copeaux géants de parmesan; gnocchis et rognons de lapin sauce moutarde; crevettes tigrées, escargots et chorizo. Les saveurs comme les textures sont en parfait équilibre, sans fausse note. Ma seule déception est la même que depuis les débuts de ce resto: les calmars frits, correctement cuits, mais à la panure pâlotte, presque farineuse, en déficit de croustillant.
J’ai hâte à la suite. Autour de nous, l’ambiance électrique gagne plusieurs watts (et décibels), on se sent guillerets, surtout après un vivifiant cocktail Good Night Kiss (cava, cube de sucre, angostura et campari). Le serveur discute vins avec David, qui choisit finalement un pinot noir écologique de Bourgogne (Domaine Jean Fournier, 2010), passe-partout pour les viandes et les poissons, importé par la compagnie Symbiose. Dans le menu qui joue la carte du réconfort (avec des aubergines parmigiana, des raviolis de courge, une soupe à l’oignon, une lasagne…), Jacques a choisi un tartare de boeuf, pour lequel il n’a que de bons mots. Je me suis lovée dans la douillette d’un bourguignon de joue de boeuf aux saveurs hyper concentrées de viande et de vin rouge, servi sur des tagliatelles aux herbes, avec oignons, champignons et rapinis. Ça goûte l’enfance, en meilleur, et c’est tendre à souhait. Malgré les qualités de mon plat, je dois me rendre à l’évidence: ce sont Bénédicte et David qui ont tiré le gros lot avec le poisson du moment, un pavé de flétan si soyeux qu’il s’évapore presque sous la dent, posé sur une incroyable purée de betteraves jaunes émulsionnée à l’huile, onctueuse et tout en finesse. Des gourganes et des lentilles béluga (noires) jouent bien leur rôle de soutien croquant. Magnifique.
Une nouvelle bouteille atterrit sur la table (un marsannay Saint-Urbain 2009, du même Domaine Jean Fournier), "une belle progression après le pinot noir", nous assure le serveur, très au fait des caractéristiques de la pléthore de vins qui reposent dans l’élégant cellier vitré, ainsi que de la composition des plats. Il est sympa et efficace, en plus. On ne peut demander mieux.
Galvanisés par ces joyeuses agapes, nous souhaitons évidemment vérifier si la nouvelle carte des desserts est à la hauteur de ce qui précède (ce qui n’a pas toujours été le cas ici). Le verdict? Totalement. Les churros, presque aériens et étonnamment peu gras, figurent parmi les meilleurs que j’ai mangés. Mais c’est mon gâteau aux carottes, chocolat blanc, orange et cardamome, tout rond, qui me renverse. Une splendeur, coiffée d’un crumble aux épices qui met la touche finale à l’harmonie des saveurs. Avec un rivesaltes hors d’âge ambré du Domaine Vaquer (un vin doux naturel du Roussillon), c’est tout simplement… magique.
Emballant /
Le décor aux accents industriels animé par des projections, l’ambiance frétillante, l’impressionnante carte des vins, mais surtout, la cuisine enthousiasmante, précise, en équilibre entre inventivité et réconfort.
Décevant /
Les calmars frits.
Combien? /
Pour deux personnes pour trois services, environ 40 $ le midi et 70 $ le soir (avant taxes, boissons et pourboire).
Quand? /
Dès 11h30 la semaine et dès 10h le week-end (brunchs).
Où? /
Le Cercle
228, rue Saint-Joseph Est
Québec
418 948-8648
www.le-cercle.ca
Le chef c’est Emile Tremblay et non Emile Bureau!