Restos / Bars

Initiale : Forts en thèmes

Il y a de grands restaurants qui donnent dans les classiques. À l’Initiale, le chef Yvan Lebrun préfère le champ plus exploratoire de la note bleue.

Pensez à une référence du jazz. Miles Davis, par exemple. Songez à ses pièces complexes qui suintent le raffinement, où chaque passage opère comme une preuve de virtuosité, mais dont les assises sont des thèmes connus. Les premières notes d’une chanson populaire, un air familier… Puis, l’imagination fait le travail, et vous voilà parti en vrille vers l’inconnu.

Dans l’assiette à l’Initiale, on a la même impression d’intelligence et de richesse, avec juste ce qu’il faut de familiarité, d’étonnement et d’accords parfaits pour que les saveurs, comme les morceaux d’un concert enlevant, déboulent en chapelets de notes fines et parfois discrètes pour provoquer le ravissement.

En ouverture, une mise en bouche en demi-teintes: gravlax de saumon et crème de raifort. Le ton est donné. La forme est superbe, l’accord complété d’un peu d’oursin ici, d’huile à l’échalote là.

Le thème de l’entrée est marin pour Sophie: pétoncles qui lévitent au milieu de flaques d’une riche bisque de homard, d’herbes maritimes, d’un caviar de homard en tranches minces et rondes, s’accrochant à un îlot de pois chiches frais, en humus vert et en popcorn.

Sur le thème de la terre: ma poitrine de caille rôtie puis roulée. Sa section rythmique est un lit de boulgour, appuyant chaque note d’une volaille tendre. Comme en musique, le goût comporte son lot de subjectivité, mais côté technique, on ne peut demander mieux. Et pour les arrangements, on s’incline devant de petites morilles fraîches, un nuage de lait parfumé à l’oignon et une réduction de porto qui complètent l’ensemble dans une surprenante suite harmonique.

Le répit est bref, le groupe semble en forme, autant en cuisine qu’au service, où l’on s’assure que la mise en scène soit avenante et détaillée.

Le canard cuit sur la peau de Sophie sonne le départ de la pièce suivante. La principale. C’est un long morceau, en plusieurs mouvements, où les thèmes reviennent au gré de bouchées qui tâtent de l’onctuosité d’une purée de panais, de la complexité d’un accord pomme de terre et purée d’amandes, confiant la touche finale et sucrée à des cerises confites qui répondent en contrepoint à la laitue de riz frite, salée et croustillante.

Mon doré est interprété avec la même passion, et j’y trouve autant sinon plus de félicité que dans le canard. Pommes de terre rattes, tranches fines de radis mariné, choux de Bruxelles et asperges jouent de concert, parfois rejoints d’une pointe d’émulsion de sapin, citron et sirop d’érable. Sans fausse note.

On n’est pas dans la pop, ici. Ce n’est pas le même plaisir vorace et bruyant que celui du terrain connu. On s’éloigne juste assez des zones de confort pour être encore surpris, véritablement épaté. Comme devant une sphère de chocolat blanc ou une crème légère au citron dont la présentation relève du chef-d’oeuvre d’architecture. Sans exagérer.

Et au moment où le groupe pousse les dernières notes, en douceur, glissant devant nous de fines tranches de pommes rosies par le sirop de cassis dans lequel elles ont trempé, on sait qu’on vient de rencontrer une oeuvre qui jongle avec le plaisir des sens et l’intelligence, qui demande de l’attention et une dose certaine d’ouverture, mais qui promet une balade en dehors des sentiers battus, nous laissant l’impression – aussi rare en cuisine qu’en musique – d’assister à quelque chose de véritablement nouveau.

Emballant /
La recherche et développement du chef, l’extrême minutie de l’exécution, toujours parfaite, la présentation développée, les accords entre les saveurs, l’effet de surprise.

Décevant /
On nous a habitués à plus de détails en sommellerie. Lors de notre passage, l’expert maison ne nous aura pas épatés outre mesure dans sa description des vins.

Combien? /
Pour deux personnes: le midi, environ 50$; le soir, dégustation gourmande à 260$, menu thématique (trois services, amuse-bouche, mignardises) à 152$ (excluant boissons, taxes et pourboire).

Quand? /
Le midi du mardi au vendredi, le soir du mardi au samedi.

Où? /
Initiale
54, rue Saint-Pierre
Québec
418 694-1818
www.restaurantinitiale.com