Ô 6e sens
Expérience de déstabilisation où la crainte fait place à la fascination et au jeu, un repas au restaurant Ô 6e sens relève de l’expérience à tenter au moins une fois dans sa vie.
Fondu au noir. Comme à la fin d’un film, l’image fait place au néant, un voile oppressant qui nous couvre soudain d’angoisse.
Nous venons d’entrer dans la salle à manger, faisant le train en tenant les épaules de la personne devant nous, guidés par notre serveur (ils sont tous aveugles) jusqu’à la table. On entend la musique, les autres convives, mais même après de longues minutes, on ne voit pas la silhouette de sa propre main si on la place devant son visage. Comme dirait matante Cécile: «C’est spécial.» Assez pour que ma sœur prenne peur. «Je ne pourrai pas rester», dit-elle. Je la comprends, depuis que nous sommes entrés, je suis aussi apeuré. Notre serveur la rassure, la conduit aux toilettes pour qu’elle reprenne contact avec la réalité des voyants, et puis ça lui passe. Et à nous aussi.
Le concept du repas est simple: pourrez-vous deviner ce que vous mangez si vous ne le voyez pas? Trois trilogies se succèdent à un rythme remarquable, l’entrée, comme les autres services, étant servie dans un long plat divisé en trois compartiments. À la sortie, on nous montrera de quoi il s’agissait.
Ce n’est pas pour plastronner, mais nous sommes plutôt forts. Nous reconnaissons les fondues au camembert, les canneberges, mais prenons les noix de Grenoble caramélisées pour des arachides. Dans la tartelette à côté, Sophie reconnaît le pastis dans la sauce, mais ce que je crois être du poisson et d’autres, des champignons se révèle une fricassée d’escargots. Nous reconnaissons toutefois le sushi végétarien qui suit.
Au centre de la table, des focaccias au gros sel trônent à la verticale dans une corbeille qu’il faut trouver à tâtons. Idem pour nos verres et fourchettes. Les conversations se poursuivent dans la plus grande normalité, comme si nous étions dans n’importe quel resto. On s’habitue.
En plat principal, nous reconnaissons sans peine les risottos (avec poivrons, tofu grillé, sauce érable et balsamique), une volaille (effiloché d’oie avec réduction de bleuets et de cassis) avec gratin dauphinois, et les pâtes avec sauce aux fruits de mer (une béchamel avec pétoncles, homard et crevettes). Verdict? C’est amusant, sans être fameux. Le tofu est un peu ennuyeux, la sauce aux fruits de mer, ordinaire et l’effiloché, un peu sec. Mais bon, on s’amuse quand même.
Au dessert aussi, puisqu’on reconnaît le biscuit au chocolat, la glace (cardamome, coco), la très bonne tartelette au citron avec meringue et la crème brûlée à l’eau de rose qui, elle, brille par sa finesse.
Mais dans le noir, on n’a pas tellement envie d’étirer le repas, et la dernière bouchée engloutie, nous réclamons qu’on nous indique la sortie. Très heureux d’avoir tenté l’expérience, qui s’avère plus exotique que gastronomique.
Emballant /
Deviner ce qu’on mange, toucher la nourriture avec nos mains, le sentiment d’impuissance et l’empathie que cela provoque pour ceux dont c’est l’état permanent.
Décevant /
La qualité de l’exécution parfois discutable.
Combien /
75$ pour trois services, pour deux, excluant taxes, boissons et service. 110$ pour l’accord mets-vins.
Quand /
En soirée, du mardi au samedi. Le midi, groupes sur réservation.
Où /
1200, avenue Germain-des-Prés, Québec
418 704-7367