Les noms de restos
Sans être exhaustif ni même trop, trop rigolo, voici un regard posé sur les noms, drôles ou drabes, qu’ont les restos d’ici.
Quand on est chef et que vient le temps de baptiser son bébé, le nom qu’on lui choisira pourrait avoir une certaine influence sur sa réputation (mais pas autant que le talent du chef). Qui irait au bistro Les mains sales, ou encore au resto-bar Chez le pouilleux? À part un foodie kamikaze ou un inspecteur du MAPAQ, pas grand monde. Il n’existe pas de Directeur de l’état civil pour juger de la pertinence d’un nom de restaurant, ce qui fait qu’on trouve sur les enseignes un peu de tout, du nom le plus banal au plus étrange ou imprononçable.
Le plus long et le plus inintéressant serait de faire l’inventaire de tous les «bistros». Plusieurs critiques en sont déjà las, nul besoin d’en rajouter. Il faut dire que le bistro est au nom de resto ce que Léa, Emma, William et Olivier sont aux nouveau-nés. Parlant de prénoms, après «bistro», c’est «chez» (et non le Che, aucun rapport) qui trône au sommet des noms populaires. On va Chez l’Épicier, Chez Lévêque, Chez Augustine, Chez Roger, Chez Victoire, Chez Lionel, Chez Boulay, Chez Chine… vous comprenez où l’on va: toujours chez quelqu’un. On peut même aller Chez Chose, au cas où on oublierait le nom de notre hôte, ou faire Comme chez soi (sans se mettre trop à l’aise, quand même!). Il y a même les croisements, comme Chez soi la Chine, où on fait comme Chez Chine, chez soi.
Confusion au menu
Avec les «chez», on sait où l’on va. Par contre, il arrive que le nom de restaurant porte à confusion. «On se donne rendez-vous à La Cuisine?» Oui, je veux bien, mais laquelle? Quand on sait que Montréal compte près de 4000 restaurants et Québec près de 1000, ça fait beaucoup de cuisines à visiter si on ignore laquelle est la bonne. Même chose pour «comptoir» : «Alors, on mange au Comptoir?» peut exiger une certaine précision, sous peine de se retrouver soit seul au dit Comptoir, soit seul à n’importe quel autre comptoir. Et c’est pareil pour Le Garde-manger, Le Bureau de poste (quoiqu’on n’ira pas commander un sandwich en plus d’un rouleau de 100 timbres à l’effigie d’un bébé marmotte), La Distillerie, Le Boudoir, Le Bureau (un peu d’heures supplémentaires?), La Fonderie, Le Troquet, Le Local, Lobby Bar et Ô Chalet (sauf une fois). Cependant, il faut faire attention si on est nostalgique des années 1960. On risque de sortir de La Commission des liqueurs déçu, sans gros gin sous le bras.
Il y a aussi de ces endroits dont le nom ne peut créer aucune confusion, à moins d’être vraiment de mauvaise foi. Pas de doute, Le Poulet Portugais sert bien du poulet à la portugaise. Le contraire aurait été fort étonnant. De même, on se doute qu’on ne verra pas grand-chose au restaurant Dans le noir ô 6e sens (et qu’on aura bien besoin dudit sens supplémentaire pour ne pas s’en mettre partout). Le nom du Pub universitaire résume aussi sa vocation: servir de la bière à des étudiants de niveau post-cégep (même si quelques intrus se glissent quelquefois dans la foule, à peine plus jeune ou parfois pas mal plus vieille). On cherche un bon gros steak à Sherbrooke? Méchant Steak Sherbrooke, c’est tout ça, évidemment.
«Tout est mini dans notre vie»
À l’opposé du gros, il y a le «mini mini mini», pour citer Dutronc et on ignore si c’est un effet du proverbial «né pour un petit pain», mais «tout est mini dans notre vie»: La petite marche, Le petit bouchon, Les trois petits bouchons, Petits creux et grands crus, Au petit resto, Le petit opus, La petite ardoise… un Petit Café avec ça? Oui, et je vous prendrais aussi un Petit Extra (aucun double sens ici). Si on voit grand, on oublie le petit et on met plutôt de la ponctuation! Ainsi sont nés les célèbres Toqué!, Brasserie T!, Toast! et Andiamo! Si ça ne suffit pas, on peut aussi mettre un point d’exclamation dans le nom, comme M!sto ou Jaja La P!zz. C’est quand même dynam!que et sympath!que, non? On peut même pousser plus loin et faire bosser les neurones des clients: dans iX [pour bistro], quelle est la variable?
D’un extrême à l’autre
Dans les choix de noms, il y a tout un spectre d’innovation. D’un côté, on a les valeurs sûres, comme «l’atelier». C’est simple: chaque ville a le sien, et parfois même deux! Montréal en a deux, un ordinaire et un d’Argentine. Québec a le sien aussi, et Ottawa de même. À l’autre bout du spectre, il y a ces noms sortis de nulle part qui marquent les esprits: si L’Affaire est ketchup au pays de Patente et Machin pendant qu’on fait Les 400 coups, on craque surtout pour Ma grosse truie chérie.
Précision, il y a le registre des entreprises qui vérifie si le nom respecte la charte de la langue et qu’elle n’indique pas un idée obscène ou scandaleuse! Tant que la personne justifie la raison qui l’a poussé à choisir ce nom, il n’y a pas de trouble!