Cuisine d’hôtel : changement de cap
Lors d’un voyage ou de conventions, le restauration d’hôtel est souvent un premier choix. Mais demeure-t-elle dans cette sphère d’activité restreinte ou tend-elle à devenir une destination gastronomique à part entière comme les autres restaurants? Voir la vie a mené son enquête.
Il y a encore de cela une quinzaine d’années, en dehors de quelques adresses bien connues comme le Fairmount Reine Elizabeth ou le Hilton Place Bonaventure, où l’on savait les brunchs du dimanche et des jours fériés copieux et agréables en famille, et les grandes salles pratiques pour organiser des repas de plusieurs centaines de personnes, nous n’aurions probablement pas pensé à réserver notre souper en amoureux sur place. Pourquoi? Parce que l’image que les restaurants d’hôtels véhiculaient était celle d’une cuisine de volume sans grande créativité et assez rigide. Un point de vue que partage Riccardo Bertolino, le chef de cuisine du restaurant Maison Boulud, associé au Ritz-Carlton: «Cette conception populaire n’est pas née de rien. Il y avait un laisser-aller dans les restaurants d’hôtels qui générait cette image. Mais aujourd’hui, nous vivons un momentum avec des initiatives intéressantes et du bon boulot mené dans de plus en plus d’endroits.»
Les deux extrêmes
Effectivement, la cuisine d’hôtel a repris du poil de la bête. Équipes inspirées derrière les fourneaux, ouvertures remarquées, événements publics, chefs médiatiques; il est maintenant possible de se faire réellement plaisir sur place. Qu’est-ce qui a changé? «Je crois que cette orientation gastronomique, bien amorcée aux États-Unis avec des chefs comme Daniel Boulud et Alain Ducasse, est en train de gagner du terrain ici», explique Olivier Perret, chef exécutif du restaurant Renoir, de l’hôtel Sofitel. «Certains hôtels ont choisi de faire briller leurs restaurants pour briller eux-mêmes dans la foulée.» Julien Robillard, chef exécutif du restaurant XO (Hôtel Le St-James) pense de son côté qu’«Il y a encore trop de restaurants d’hôtels médiocres, soit parce qu’ils n’osent pas avoir une identité propre, soit parce qu’ils sont assujettis à trop de contraintes.»
Des contraintes diverses
Elles peuvent avoir plusieurs origines. Beaucoup de personnes penseront évidemment aux puissants syndicats qui gouvernent indirectement les gros hôtels. Basés sur le principe de l’ancienneté et sur une vision rigide de l’hôtellerie, ils peuvent constituer un véritable frein à l’évolution nécessaire d’un établissement, en plus de gonfler inutilement les prix des services qui y sont reliés, comme la nourriture. Des chefs comme Olivier Perret et Julien Robillard se comptent donc chanceux de disposer d’une équipe jeune, dynamique… et encouragée par la direction. «Lorsque le Sofitel a ouvert en 2002, il s’est tout de suite positionné en compétition avec les autres restaurants haut-de-gamme en ville. Notre petite équipe a depuis toujours compté des éléments très forts, dont certains avaient travaillé pour des restaurants étoilés. Notre prochain chef pâtissier sera d’ailleurs un Maître Ouvrier de France, une vraie fierté pour nous.» Cette confiance, Julien Robillard en bénéficie aussi: « On me laisse la liberté de m’exprimer, de faire preuve de créativité, notamment pour les soupers. Je suis conscient que ça ne passerait pas dans d’autres établissements.»
Au-delà de la structure-même de l’établissement et de la vision qui l’habite, la cuisine d’hôtel est dépendante de facteurs très concrets, tels que les jours et les heures d’ouverture, ainsi que les différentes clientèles ciblées. «Les clients d’hôtel peuvent aussi bien être des foodies que des gens d’affaires, avec des demandes très différentes. Il faut donc contenter tout le monde, en plus de répondre à des exigences plus personnelles comme les intolérances alimentaires ou les préférences culturelles», explique Riccardo Bertolino. Une opinion partagée par Julien Robillard: «Quand on évolue dans un hôtel prestigieux, on se rend compte que la majorité des clients qui y dorment veulent un service ultrapersonnalisé. Certains d’entre eux ont ainsi des demandes très précises avant même de jeter un coup d’œil à la carte. Il faut donc être prêt à faire n’importe quoi, ce qui représente pas mal de défi, des fois.»
Les plus de la cuisine d’hôtel
On se doute que des services de banquet ou de petits-déjeuners ne sont pas ce que préfèrent préparer les chefs talentueux. Mais ils ont l’avantage de gonfler le portefeuille d’achats du restaurant. «Grâce à cela, je peux avoir accès à de très beaux produits en tout temps, avoue Olivier Perret. Rien que cette semaine, j’ai acheté du Saint-pierre, des oursins, quatre sortes d’huîtres, de la truffe noire et de la côte de bœuf à 40 dollars du kilo.» En bout de ligne, en plus d’un chef comblé, ces achats font la joie des clients, qui peuvent s’en régaler à un bon rapport qualité-prix.
Autre avantage non négligeable de ces cuisines: des conditions de travail enviables qui attirent les talents. Pour Olivier Perret, qui a déjà évolué dans de petits restaurants montréalais, «la situation est moins précaire dans des hôtels que dans la restauration traditionnelle. On n’a pas à tout gérer de A à Z, on n’est pas obligé de faire des 80 heures semaine, on a un salaire convenable. Ça nous ôte un stress et nous permet de nous concentrer sur notre travail.» «On peut aussi faire une très belle carrière dans ce milieu, notamment en étant mobile dans les grandes chaînes», ajoute Julien Robillard.
Enfin, pensons-y quelques instants: si les cuisines d’hôtels demeurent parfois les meilleurs secrets en ville, c’est aussi que l’on s’en fait une fausse représentation en pensant que ce sera plus cher qu’ailleurs. Il est certain que des établissements comme le Ritz-Carlton et le Saint-James incarnent une certaine image, celle de gens riches et célèbres qui évoluent dans une autre sphère que la nôtre. Mais la facture que l’on y paie au final n’est pas si éloignée de celle de plusieurs restaurants montréalais où le service et le confort ne sont pas du même niveau. Alors, essayez-les!