Laurea & Lorbeer: le 381 Laurier en deux temps
Nouveau départ pour la légendaire maison à lucarnes.
Depuis son ouverture en 1936, la Rôtisserie Laurier BBQ a rassasié d’innombrables familles d’Outremont et d’ailleurs. Siège par excellence des traditionnels soupers du dimanche soir, la maison à lucarnes sur l’avenue Laurier demeure un endroit mythique dans bien des souvenirs d’enfance. Après près de 80 ans de service, longévité dont peu d’établissements peuvent se vanter, le paradis du poulet rôti s’est essoufflé et la suite est tristement célèbre. Gordon Ramsay, illustre chef qui devait lui redorer le blason, brilla plutôt par son absence, et ce qui devait être une glorieuse renaissance a fini en cauchemar financier et juridique en seulement cinq mois. Le groupe Nakis, n’étant pas inconnu aux institutions puisqu’il possédait aussi le Déli Schwart’z, tenta de remettre le projet sur pied durant un an, mais n’a eu guère plus de succès. Ne reculant pas devant le dicton «jamais deux sans trois», un troisième parti a pris la relève en juin 2013 et aujourd’hui, tout porte à croire que celui-ci a finalement trouvé la formule gagnante. Entretien avec les membres de cette équipe: Eric LeFrançois, Jeff Stinco, Rebecca Bourque et Cindy Simard.
«Tout d’abord, il importe de préciser que Gordon Ramsay n’a pas fait un échec populaire, mais bien un échec opérationnel. L’engouement des gens pour ce lieu emblématique n’a jamais disparu et c’est ce qui nous a encouragés à reprendre le flambeau», souligne Jeff Stinco, qui forme le duo d’origine du projet avec Eric LeFrançois. «Puis, avant même de réfléchir à l’essence de ce qu’on voulait créer, on a formé l’équipe. D’abord avec Rebecca, qui était déjà partenaire avec nous pour l’Edgar Hyperlodge à Bromont, et avec Cindy (du Rachel Rachel), avec qui on souhaitait collaborer depuis longtemps. C’était un projet d’une telle envergure qu’il fallait vraiment une dream team qui couvrirait tous les volets faisant d’un lieu un succès ou non», poursuit Eric.
Sachant qu’ils allaient inévitablement être comparés à l’entreprise d’origine, ce qui avait certainement nui à leurs prédécesseurs, ils ont vite décidé de mettre fin aux jours de rôtissage et de partir à neuf. La nature de cette réinvention restait maintenant à déterminer. Que faire de l’immensité du local, atout qui n’en est pas un en restauration? «Je viens ici depuis que j’ai 5 ans et je n’avais jamais vu le deuxième étage; il ne devait pas être très utilisé. Ce n’était pas une bonne utilisation de l’espace et lorsqu’on a décidé de scinder l’endroit en deux – d’un côté, Laurea, un restaurant gastronomique raffiné, et de l’autre, Lorbeer, une brasserie plus brute –, je savais qu’on avait trouvé la bonne formule», se souvient Jeff.
Convertir une maison ancestrale en deux entités distinctes a été tout un défi. Défi relevé haut la main par Rebecca Bourque, l’extraordinaire designer de l’endroit: «L’architecture du lieu est tellement iconique qu’on n’allait évidemment pas tout changer. Oui, on a voulu faire évoluer l’espace et changer le menu, mais on l’a fait en respectant l’histoire de la rôtisserie, en gardant des souches comme la girouette sur le toit et en s’inspirant du nom Laurier BBQ.» En effet, Laurea signifie laurier en latin et Lorbeer, la même chose en allemand. Ce dernier nom leur est venu par hasard lors d’une soirée entre amis à coups de Google translate. Inutile de dire que Lorbeer a vite fait consensus, car on ne pourrait imaginer mieux pour un repaire de bière. Veinards, vous dites?
Mais le projet n’a pas été qu’une suite d’heureux hasards. L’équipe a été confrontée à d’autres obstacles logistiques comme la difficulté d’attirer les clients au deuxième étage du resto, ce qui n’est jamais tâche facile en restauration. «On avait besoin d’un facteur wow, c’est pourquoi on a décidé d’ouvrir le toit. On a pignon sur rue en bas avec le bar à cocktails, où on peut prendre l’apéro et des bouchées, puis lorsqu’on monte, le deuxième étage devient une destination. On a créé le genre de cour intérieure qu’on retrouve en Europe ou ailleurs. D’ailleurs, les gens me disent souvent qu’ils ont l’impression d’être à Chicago, dans le sud de la France, à Williamsburg…», raconte Rebecca. «Il n’y a quasiment pas d’autres établissements avec le concept de toit ouvrant. Enfin, il y a le Stade olympique, mais ça ne marche pas super bien!», plaisante Jeff.
«Intemporel», tel est le mot qui vient à l’esprit en observant les lieux. On voit tout de suite qu’on n’a pas cherché à en faire des endroits à la mode et éphémères, mais bien des classiques propices à la pérennité. «On a beaucoup récupéré pour le décor. Au Laurea, on a fait des tables avec le bois de l’escalier principal d’origine et au Lorbeer, on a utilisé de vieux bancs d’église qu’on a transformés en simili banquettes de tramway. Je me suis inspirée des banquettes de Lisbonne; j’ai habité en Europe et ça influence beaucoup mon travail. Ce doit être pour cela que les gens se sentent si dépaysés ici», poursuit Rebecca. Autre point culminant du design? La table des chefs, une superbe table en bois rustique nichée à l’arrière du resto, entre la cuisine et le cellier. Le midi, l’équipe y dîne, y cogite et le soir venu, des convives chanceux auront bientôt l’occasion de s’y attabler. Avec sa vue exclusive sur ce qui se passe en salle et en cuisine, dur d’être plus dans l’action des coulisses.
Parlant de cuisine, celle-ci est chapeautée par Hakim Chajar, apprenti de Daniel Vézina à l’émission Les Chefs! ainsi qu’au Laurie Raphaël. «Lorsqu’on me questionne à propos de la cuisine, je réponds simplement que c’est la cuisine d’Hakim. Il a recours à une foule d’inspirations, dont méditerranéenne et nord-africaine. Il appelle ça une cuisine « de consensus » parce qu’il veut que les gens partagent et goûtent; qu’on se sente un peu à la maison. Ce resto a vraiment été conçu pour les groupes. On voulait qu’il y ait un esprit familial et festif. Comme on le sait bien, lorsqu’on reçoit chez soi, les invités finissent toujours par aboutir dans la cuisine; c’est une pièce très fédératrice. Voilà pourquoi Rebecca a eu l’idée d’ouvrir la cuisine et de la mettre au centre de l’attention. Avec Hakim qui est assez théâtral en cuisine, c’était tout à fait pertinent», explique Jeff.
Quant au Lorbeer, il répond au désir de longue date d’Eric et Jeff d’avoir une vitrine montréalaise pour leur brasserie de Bromont, West Shefford Brewery. «On rêvait d’une brasserie qui serait faite dans un esprit de design et où on servirait une bouffe conviviale, mais de haute qualité. On voulait aussi en faire un petit laboratoire où on pourrait expérimenter des recettes. Comme les installations sont plus grosses à Bromont, rater une recette coûte pas mal plus cher qu’ici!», ajoute Jeff. «Le Laurea et le Lorbeer, c’est une belle histoire d’ambivalence; on peut bien manger d’un côté, puis aller faire des mauvais coups de l’autre!», conclut-il en riant. Bref, le meilleur des deux mondes.
Restaurant Laurea et Brasserie Lorbeer
381, avenue Laurier Ouest, Montréal
514 507-4997 (Laurea) / 514 507-2160 (Lorbeer)