Restauration: survivre à 2016
À quoi ressemblera la restauration en 2016? Trois chefs se prononcent. Jean-Luc Boulay (Saint-Amour, Chez Boulay), Ian Perreault (Chez Lionel) et Danny Saint Pierre (La Petite Maison).
Fini le kale, 2016 est l’année des légumineuses. La joue de veau, c’est tellement 2010, pensez boudin noir! Chaque début d’année nous amène sa logorrhée de tendances alimentaires concoctée par de plus ou moins influents consultants en marketing alimentaire. Les chefs, eux, se décarcassent pour trouver la recette gagnante qui garantira la survie de leur restaurant. Opinions croisées de trois chefs d’expérience.
Les prix
Nos chefs semblent obsédés par trois choses: les prix, les prix et les prix. Jean-Luc Boulay, du chic restaurant Saint-Amour à Québec et auteur du bistro plus informel Chez Boulay l’affirme d’entrée de jeu: la gastronomie est de moins en moins rentable. Le mouvement bistronomique a créé une vague d’enthousiasme chez les cuisinomanes. «Notre nouvelle clientèle, les 30-40 ans, n’aime pas forcément cuisiner, veut voir du monde, prendre une bière et un tartare.» Exit le foie gras, la truffe et autres produits de luxe, la tendance est à travailler les produits moins nobles. Avec l’explosion des prix des aliments, les chefs sont en déroute. «Le client est de plus en plus informé, reconnaît Ian Perreault. Il est au courant des prix et me prend pour un voleur dès que je demande un montant trop cher.» Même son de cloche du côté de Danny Saint Pierre, qui entreprend l’ouverture d’un nouveau restaurant à Montréal. «Les clients consomment différemment. Ils sont curieux. Nous sommes devenus une nation de foodies, mais c’est la guerre des prix.»
La multiplication des bonnes tables, que ce soit à Québec ou à Montréal, a rendu le cuisinomane particulièrement infidèle. La solution? L’excellence du service. «La constance, c’est le mot-clé», pour Ian Perreaut. Constance dans la qualité des ingrédients et des prix raisonnables. Et dans un service compétent, qui maîtrise le menu, qui devient l’allié du client. «On a eu tendance à rendre la restauration élitiste, remarque Danny Saint Pierre. De nombreux restos ont une belle carte des vins, un sommelier… Il y a de la compétence, mais ça crée aussi de la distance. On peut aussi penser à un beau casse-croûte, accessible. Ou à une bonne pizza bien faite.»
Les aliments
Stimuler les papilles est l’autre enjeu d’envergure. Chez Lionel, les ventes de viande ne sont pas en baisse. «Comme si les gens mangeaient moins de viande à la maison, mais venaient en manger à mon restaurant.» Les tartares ont la cote. «Cette année, je vais travailler le poulet. Un bon poulet rôti peut battre le canard ou le lapin, c’est extraordinaire.» Chez Danny, ce seront… les œufs. «Je fais une omelette extraordinaire.» Surtout à l’heure des brunchs. Jean-Luc Boulay travaille le maquereau, le brochet en farce, le lapin, «qui est encore une viande rentable car peu connue. Au bistro Boréal, on travaille les petits fruits et les herbes de la forêt boréale. J’ai remplacé de nombreux produits importés par des produits locaux: l’argousier, le sapin baumier, la fleur de sureau, le sirop de bouleau ou encore l’huile de pépin de canneberge. Des délices!»
Et les plats végétariens? Au Saint-Amour, il y en a toujours un. À Boucherville? «Pas vraiment», avoue Ian Perreault. Danny Saint Pierre mettra plus d’énergie dans cette catégorie de plats, sachant que dans son quartier (le Mile-End), la demande est plus forte. Et ça tombe bien, car les plats végétariens sont moins chers à produire. «Mais il faut bien les cuisiner. On travaille la feuille de tofu en sandwich à l’oignon avec notre pain ciabatta maison. Le tofu est braisé, parfumé au vermouth, à l’ail et à la muscade.»
Intolérances et allergies
Autre défi: répondre aux exigences multiples de la clientèle. Au Saint-Amour, «une commande sur trois» concerne une intolérance ou une allergie alimentaire. Danny Saint Pierre, lui, prépare un pain au maïs sans gluten. À Boucherville, Ian Perreault travaille fort «pour qu’il n’y ait pas d’allergènes, pas d’arachides et des desserts sans noix».
D’ailleurs, les desserts changent. Jean-Luc Boulay et Ian Perreault l’avouent: ils ont coupé dans le sucre, et dans le gras. «Les gens mangent moins de dessert, c’est clair, reconnaît le chef du Saint-Amour. Il faut les travailler moins sucrés et moins riches.»
Le tout est d’avoir des «valeurs refuges», dit Danny St Pierre. «Il faut que le client ait envie de revenir, et ça, ça passe par les humains. La restauration, c’est d’abord une question de mise en scène.»