Les no-show dans les restos : Réservations buissonnières
Imaginez: vous êtes invités à un souper, mais vous ne vous pointez pas le bout du nez. Sans même prévenir vos hôtes. Inconcevable, non? Et pourtant, c’est ce qui arrive régulièrement dans les restaurants.
Dans le jargon, on les appelle les «no-show». Autrement dit, les clients qui font défection. Une véritable plaie dans le milieu. Un phénomène connu depuis quelques années, depuis qu’une poignée de restaurateurs ont dénoncé ce phénomène social. En février dernier, c’était au tour du proprio du Bistro B à Québec, François Blais, de péter un plomb. «24 no-show vendredi soir! Sur une soirée de 120 couverts, s’il y en a 24 qui ne se pointent pas, il est passé où le profit, tu penses? Non seulement le patron ne fait pas ses frais, mais les employés à pourboire écopent eux aussi! Je trouve que c’est irrespectueux et déplorable.»
Un phénomène pas nouveau, mais inexplicable. Ilene Polansky, propriétaire du restaurant Maestro SVP depuis 23 ans, confirme que les no-show ont toujours existé. Même avant Internet. Ces défections, elle en voit «une vingtaine par semaine. Ça a toujours été comme ça.»
«C’est notre quotidien, confirme François Blais. Il y a 20 ans, ce n’était pas un problème. On avait des bons revenus, mais aujourd’hui, les profits sont en baisse. Ce sont des pertes directes. Un restaurant, c’est 3% de marge de profit. Quand tu as 100 personnes, tu fais tes frais. Mais ce sont les trois dernières qui sont importantes!» Les pires soirées? La Saint-Sylvestre, la Saint-Valentin ou encore des événements ponctuels comme Montréal à table.
La question qui tue: pourquoi?
Pas la peine d’annuler, de toute façon, ils auront d’autres clients. Avouez que cette idée vous est déjà passée par la tête. Eh bien, non, ça ne marche pas comme ça. Vrai, un resto se garde généralement (mais pas systématiquement) une certaine proportion de tables sans réservation, les «walk-in» dans le jargon. Notamment pour les habitués. Chez Maestro SVP, Ilene Polansky garde 20% de ses tables sans réservation les samedis et 40% la semaine. Ne vous demandez plus pourquoi un resto qui affiche complet en ligne a encore de la place quand on l’appelle.
Pourquoi, alors? Il y a plusieurs styles de défections. D’abord, le client qui néglige simplement d’annuler sa réservation. «Mais aussi ceux qui réservent à deux ou trois établissements en même temps, pour avoir le choix», explique Edward Zaki, copropriétaire de quatre restaurants dans la métropole, qui a déjà vu des clients réserver en même temps… dans deux de ses restaurants! Conséquences de la grande popularité des restos à la mode. Mais cette incivilité reste inexcusable, surtout en ces temps où nous sommes ultra branchés, toujours un cellulaire à la main.
Ces no-show ont un impact sous-estimé. «Des clients qui ne se pointent pas, ça te défait une soirée, explique Stéphanie Grondin, ancienne copropriétaire de l’Assommoir Bernard. Ça a un impact financier. Les réservations permettent de planifier la quantité de nourriture, le personnel.» Et ceux qui payent, au bout du compte, sont… les clients qui se présentent!
Une parade: la réservation en ligne
Une des applications populaires, Open Table, a sa propre politique en cas de défection. Une réservation non honorée doit être annulée au moins 30 minutes avant. Au bout de quatre défections sur une période de 12 mois, l’application supprime carrément votre compte. François Blais ironise. «Si je suis sur une liste noire, c’est ma conjointe qui fera la réservation. Ça va changer quoi?»
D’autres restaurateurs font affaire avec l’application DINR. Le principe est simple: en cas de défection, le restaurant remet les places à vendre sur cette plateforme. Pour le consommateur, l’avantage est indéniable: il permet de trouver une place rapidement dans un des établissements membres. On compte parmi eux des restos très populaires. Mais en cas de défection, DINR retient 30$ par personne sur votre carte de crédit. Du donnant-donnant.
Martin Juneau est dubitatif. «C’est plutôt rare de ne pas trouver une place, même les fins de semaine. Il y beaucoup de restos à Montréal. Les clients ont l’embarras du choix.» Juneau avait aussi fait une sortie sur les réseaux sociaux contre les no-show il y a quelques années. «On dirait que ça a marché. On en a beaucoup moins [de défections] depuis. C’était une campagne de sensibilisation et on a été écoutés.» Tant mieux, même s’il reste encore un 10% visiblement incompressible de no-show, surtout les soirs d’événements.
François Blais a décidé qu’à la prochaine Saint-Valentin, il prendra les numéros de carte de crédit lors des réservations. Edward Zaki le fait déjà pour les groupes de huit et plus. Un simple formulaire à remplir sur le site. «On prend un dépôt de 20$ par personne.» Et ça marche.
«Il faut créer une habitude, renchérit François Blais. Pour réserver dans les hôtels, c’est normal. Les billets de spectacle ne sont pas remboursables.» Pourquoi pas au restaurant? Des établissements de grandes villes comme New York ou Chicago le font déjà…
Une idée qui devrait faire son chemin au Québec, selon Edward Zaki. Pour François Blais, la clientèle devrait tout simplement se rendre compte que tous les restaurants ne roulent pas sur l’or. Un simple coup de téléphone pour annuler? «C’est une question de respect», rappelle Martin Juneau. La politesse, tout simplement.
Nous au Restaurant L’Impérial, on tente de réduire ce problème au maximum. Pas le choix de confirmer 2 fois. Une fois la veille, et une autre fois le jour de la réservation. Si nous ne pouvons rejoindre la personne après 2 tentatives, nous allouons la table à d’autres clients. Un peu comme Air Canada, il vaut mieux pour un restaurant de Over booker la salle que de se ramasser avec des chaises vides.