Speakeasy : Ambiance prohibition
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Speakeasy : Ambiance prohibition

Entrée dissimulée, déco des années 1920 et ambiance tamisée: la tendance est aux speakeasys. Ces établissements qui imitent l’atmosphère des bars américains à la fin de la Grande Dépression font notamment leur apparition à Montréal. Le concept: se cacher… pour mieux attirer les clients.

«La Loi:
– Laissez vos armes à l’entrée
– La politesse est de mise, respectez vos voisins
– Les demoiselles ne sont pas là pour vous. Amenez les vôtres
– Pas de limite sur les boissons tant que vous pouvez les tenir
– Pas de cellulaires! Socialisez!
– Ne parlez pas de politique, religion ou futur braquage
– Les bagarres sont interdites, les cuisiniers sont armés
– En cas de descente policière, chacun pour soi
– Ce qui se passe au Speakeasy reste au Speakeasy
– Bienvenue chez vous.»

La Loi, affichée en évidence en face de l’entrée, donne le ton aux clients arrivant au Speakeasy, qui a ouvert ses portes fin avril dans le Vieux-Montréal. Mais il faut d’abord trouver le bar; si une enseigne sur la rue indique le nom de l’endroit, on est un peu surpris de se retrouver devant une sandwicherie toute simple… Ceux qui creusent un peu l’affaire trouvent alors une porte blanche au fond de la petite boutique, qui donne sur le bar. Il faut mériter son cocktail!

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Le Speakeasy tient son nom des établissements clandestins qui servaient de l’alcool pendant la Prohibition, alimentés par des contrebandiers. Cachés, souvent au sous-sol, ces bars étaient pourvus de portes dérobées pour s’échapper plus vite en cas de descente de police. Le terme speakeasy signifie en anglais «parlez doucement», une consigne que les bartenders répétaient à l’envi à leurs clients pour ne pas se faire repérer dans le voisinage – selon une autre hypothèse, le nom provient du fait que la consommation d’alcool déliait les langues et les conversations.

«Les gangsters gentlemen, les vrais»

Le thème des gangsters gentlemen est décidément à la mode. Alors que le premier bar du genre a ouvert en 2007 à New York, la ville compte désormais une soixantaine de speakeasys. Et à Montréal? «Ça fait deux ans et demi que je travaille sur le projet, raconte Cédric St-Onge, copropriétaire du Speakeasy. Au début, rien n’existait…» L’année dernière, le Quartier latin accueillait Le 4e Mur, puis le bar Cloakroom, ouvert en décembre dernier à l’initiative notamment du réputé mixologue Andrew Whibley.

Ce bar est situé dans la boutique d’un tailleur et barbier haut de gamme pour hommes, dans le centre-ville; une fois dans cette belle maison à l’intérieur lambrissé et bois verni, il faut trouver le faux mur… Pour Andrew, «l’expérience commence à la porte». Derrière l’entrée dérobée se présente un long couloir sombre où nous accueillent des photos en noir et blanc de Gainsbourg ou Mastroianni – c’est clair, gentlemen only. Quand on est installés dans le bar, au fond, on se sent comme un élu: il n’y a qu’une petite vingtaine de places.

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Cloakroom

Si un jeu de miroirs agrandit l’endroit, le bar est en réalité minuscule, mais ô combien chic… Ici, pas de menu ni de serveur. On parle de ses envies et de ses préférences en spiritueux avec le bartender, qui revient ensuite avec un cocktail présenté dans un très joli verre vintage et fait sur mesure – les glaçons sont même taillés à la main. Un sommelier venu prendre un verre confirme: «Ils tombent toujours exactement sur ce que j’ai envie de boire.»

Le bar ne sert que des cocktails centenaires, des classiques de 1860 à 1920 légèrement changés. «Quand j’ai ouvert, j’ai acheté plus de 150 livres de cocktails pour trouver des recettes que personne ne connaît», raconte Andrew. Il a évacué les sirops et autres purées sucrées très utilisés dans la plupart des bars à cocktails: «J’ai laissé de côté tout ça pour me concentrer plus sur les mélanges d’alcools.» Derrière le comptoir, il n’y a qu’un seul sirop – et 200 bouteilles de liqueurs.

Souper sans cellulaire

Si le Speakeasy n’est donc pas le premier de Montréal, il se targue en tout cas d’être le seul restaurant. Doté d’une cuisine ouverte et de 65 couverts, il se spécialise notamment dans les huîtres. On y vient pour un 5 à 7, pour souper ou pour un late diner, le resto étant ouvert jusqu’à 1h du matin. «Dans le coin, il n’y a pas d’option pour souper tard, explique Nicolas Delrieu, l’autre propriétaire. On ne réinvente pas les cocktails ou la cuisine, mais on offre de bons classiques bien maîtrisés.» De toute façon, on ne vient pas au Speakeasy pour la cuisine, mais bien pour le concept.

Dans ce «resto-cocktail», les murs sont ornés de photos d’Al Capone, John Dillinger ou Baby Face Nelson – «les gangsters gentlemen, les vrais gangsters, ceux qui volaient les riches», commente Cedric. Sous un éclairage tamisé, on s’assoit sur des canapés en cuir matelassé et on se fait servir par un bartender en bretelles. La carte des boissons est dissimulée dans de vieux romans. «On veut montrer une ambiance un peu différente, dit Cédric. Celle d’un souper en gang autour d’une table, sans cellulaires, où les hommes sont des gentlemen et les femmes sont des dames… C’est une ambiance révolue, et on s’est dit que ça serait bien qu’une place à Montréal la ramène.»

Pas de cellulaire, en 2016? «Il faut lire la loi! prévient Nicolas. On n’interdit pas de prendre un selfie, mais on vous recommande de parler à la personne qui vous accompagne, elle est plus intéressante que Facebook.» On risque pourtant de recevoir des messages de nos amis, nous demandant si c’est vraiment dans une sandwicherie qu’on se retrouve. Car la boutique en devanture, si elle sert en effet des lunchs, est seulement un prétexte pour cacher le resto à l’arrière. Et l’enseigne évidente sur la rue? «Faut aider un peu les gens qui ont travaillé toute la journée et pas leur compliquer la vie, pense Cédric. On indique l’adresse, mais ça ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qu’il y a derrière…»

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Cloakroom

D’autres établissements jouent un peu plus le jeu. Pour aller au 4e Mur, ce n’est pas le site web ou la page Facebook qui va nous aider; il faut envoyer un courriel pour recevoir les informations. Et encore, vous risquez de passer plusieurs fois devant la porte avant de repérer l’entrée, cachée derrière un mur de briques. Le Please Don’t Tell, le pionnier de New York, s’est amusé encore plus: il faut appeler depuis la cabine téléphonique d’un petit restaurant voisin pour être accepté dans le bar interdit. Et surtout, speak easy