On l’avoue, on s’attendait à du classique. De la cuisine classique française certes maîtrisée, mais peu surprenante. Et le jeune chef Gilles Tolen nous a joliment cloué le bec. C’est que l’intérieur de La Société, s’il est splendide, n’a déjà rien de moderne : tables en marbre et banquettes de cuir, mosaïque de céramiques au sol, boiseries sombres, mobilier bistro, tableau ardoise… La déco très française inspirée des années 1920 se voit notamment dans le grand dôme en vitrail coloré et les lignes stylisées des menus. Une ambiance qui n’est pas sans rappeler les vieilles brasseries parisiennes du quartier Montparnasse. La Société est loin d’être un autre resto d’hôtel, et vaut bien le détour à lui seul.
Sur la table, une petite lampe-bougie créé une atmosphère intime. On commence avec des cocktails qui, comme le reste, semblent classiques mais réservent des surprises : le Old Fashioned s’agrémente de sirop d’érable et la tequila-lime est accompagnée de sel fumé… L’amuse-bouche qui ouvre le bal en beauté est un jerky de saumon savamment décoré avec des pointes de mayonnaise maison et de citron confit. L’acidulé relève à merveille le sucré, et on est d’autant plus curieux de découvrir le reste du repas. On opte pour le menu dégustation cinq services, avec les accords vins choisis par Pascal Paradis (ancien chef sommelier du Toqué!), qui nous prodigue un service chaleureux sans être guindé.
Pascal veut justement développer plus le menu dégustation, souvent boudé par les clients peu aventureux qui préfèrent choisir à la carte. Et pourtant, à 63$ le menu, on ne peut que saluer l’excellent rapport qualité-prix et l’originalité des assiettes, au fil de l’inspiration du chef. La carte propose des plats bien français, de la soupe à l’oignon à l’onglet de bœuf et frites, mais la plupart des classiques sont revisités. En entrée, le poireau-vinaigrette est accompagné d’escargots laqués à l’érable, de pain frit et de copeaux de foie gras, tandis que la purée de betterave se lie avec du chèvre frais, dans un beau jeu de textures entre la purée et le croquant du granola qui la recouvre. Original et goûteux.
Envie d’une entrée chaude ? Le délicieux « œuf parfait », servi dans un joli bol grand-mère à fleurs, mêle champignons sauvages, mousse de cipolinis fumés, sarrasin rôti et oignon confit. S’ensuivent des ris de veau poêlés avec purée de patates douces fumées, oignons cipolinis et jus de veau au café, et en face un magret de canard avec légumes racines et sauce café. Si les plats sont un peu moins surprenants, les viandes sont cuites à la perfection et tendres à souhait, et la présentation des assiettes est joliment moderne et travaillée comme un beau tableau. Le tout rehaussé par les vins, qui alternent France et restes du monde.
Les desserts, si on les considère souvent comme un petit bonus de fin de repas, prennent ici toute leur place en terminant sur une superbe note créative. Dans un bel accord de saveurs, l’ananas rôti aux épices, la crème de citron et son crumble de shortbread sont accompagnés d’un étonnant sorbet de coriandre, tandis qu’en face argousier et meringue croquante recouvrent une panna cotta… de foin. La crème, dont le goût rappelle légèrement le thé vert, est surprenante est délicieuse, sans être trop sucrée – on se permet donc de prendre un vin de dessert plus concentré avec ça.
Un bel éventail de l’imagination du chef, qui nous vient tout droit de France. Gilles Tolen a notamment travaillé au Cinq, le restaurant le l’hôtel George V triplement étoilé, avant d’intégrer les cuisines du Jules Verne à la Tour Eiffel, puis celles du Lumière, le restaurant de l’hôtel Scribe. À Montréal, il a travaillé aux côtés de Normand Laprise à la Brasserie T., avant de devenir chef au Decca 77. C’est en 2016 que l’équipe de La Société est allé le chercher, lui donnant pour mission d’apporter un nouvel élan à sa cuisine de brasserie française… Mission accomplie, chef.