Marie-Chantal Lepage : la créativité aux fourneaux
La chef, qui officie au milieu d’œuvres d’art au restaurant du Musée national des beaux-arts du Québec, a un rapport tout particulier avec la créativité…
VOIR: Quel est votre rapport à la nourriture?
Marie-Chantal Lepage: C’est bien simple: pour moi, manger, déguster, boire du vin avec des amis, c’est la vie!
Vous avez plus de 20 ans de carrière dans la restauration. Comment le milieu a-t-il évolué?
Je suis arrivée dans le métier dans les années 1990, par hasard. Au début, j’ai détesté ça. Puis, j’ai rencontré le chef Serge Bruyère; il a eu une influence incroyable sur moi. À l’époque, il y avait surtout des chefs français, qui criaient beaucoup, un milieu très misogyne… C’était difficile d’être une femme dans une cuisine. Aujourd’hui ça a beaucoup changé. Et si avant les meilleurs restos avaient à leur tête des chefs français, ce n’est plus forcément le cas de nos jours. Notre identité culinaire s’est affirmée.
Vous allez souvent au resto?
Quand je suis en congé, je préfère recevoir à la maison. Mais je sors manger deux ou trois fois par mois… J’adore Légende ou Cendrillon, à Québec. À Montréal, j’aime aller chez Helena, au Portus 360; on est vraiment sur la même longueur d’onde, elle et moi. Mais être restaurateur, c’est vraiment un travail à temps plein, ça ne s’arrête jamais, et quand je sors au resto, j’analyse toujours mon assiette, le service, etc.
Pensez-vous que la cuisine est un art?
Tout à fait! Et encore plus depuis quelques années. Les chefs font encore plus attention au choix des assiettes, à la présentation; on en est actuellement à l’apogée. Quand je fais un menu, je pense au visuel, aux textures, etc., je travaille avec tous les sens. Un menu demande beaucoup de réflexion. Mais il ne faut pas oublier le goût dans tout ça! Ça doit rester bon. Le vrai art culinaire, c’est quand t’as fini de manger et que les arômes te restent en bouche…
Quelle est l’influence du musée sur votre créativité?
C’est sûr que c’est plus facile de créer ici, je suis entourée d’artistes. Je me trouve privilégiée: j’arrive au musée, je vois toutes ces œuvres, puis je vais travailler au resto avec ça en tête, pour faire mon propre art. Quand un artiste me branche, j’essaie de faire un plat qui lui ressemble. Mon resto, c’est une salle d’expo culinaire!
On dit que les chefs québécois sont particulièrement créatifs…
Oui, je le vois aussi par rapport à la France, mais aussi par rapport à d’autres cuisines, d’Asie, etc. Ça doit venir de notre culture. On a un tempérament plus explosif aussi.
C’est difficile, la création en cuisine?
Il faut se forcer à créer, c’est un exercice mental. Moi, j’écris beaucoup par exemple, ça m’aide. Et plus on stimule sa créativité, plus elle est active. Dans le fond, on n’a pas le choix de créer, c’est quelque chose d’essentiel. La routine, c’est confortable, mais ce n’est pas comme ça qu’on se surpasse. L’important n’est pas d’être bon au point d’être copié, mais de savoir innover et passer à autre chose quand on est copié. La créativité pousse à se poser des questions, à aller dans les détails…
Et chez vous, ça se traduit comment?
Je fais attention à l’assiette, à l’effet de surprise, au petit plus… Le client cherche les endroits qui vont se démarquer, et les gens qui viennent au musée sont ici pour découvrir de l’art – même dans l’assiette. La créativité, c’est ma signature. J’ai toujours été un peu folle! Les gens qui me connaissent vous diraient que j’ai une tête de cochon, car je prends rarement la voie la plus facile! Je veux que le client fasse «wow»…