L’impression, c’est une histoire de famille chez les Goodson. Faire impression aussi, au vu de la collection incroyable dont a hérité Anna Goodson et qui aurait bien sa place dans un musée. Mais allons-y chronologiquement. 1911, Goodson Printers voit le jour à Montréal, avant d’être rebaptisée Victoria Press en 1923.
Pur Montréalais, Jack Goodson, le fils du fondateur de l’imprimerie, part à la New York University pour y étudier l’impression. Il apprend par la suite le graphisme publicitaire et la gestion d’entreprise, et reprend tout naturellement l’entreprise familiale, la renommant au passage Hotel Printing en 1965.
L’imprimerie se spécialise petit à petit en impression de documents pour les restaurants et l’hôtellerie. Hotel Printing, situé Place de la Savanne sur le boulevard Décarie, est notamment chargé de tout le mandat d’impression pour Expo67: cartes, pamphlets sur les pays distribués dans les pavillons, menus des restos… Jack voyage aussi beaucoup, surtout en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, où se situent la plupart de ses clients.
Lors de ses séjours, l’imprimeur visite de nombreux restaurants; il ramène ensuite les menus chez lui, les corrige puis les renvoie aux établissements. Une manie plutôt audacieuse mais qui, si elle agace parfois certains restaurateurs, lui vaut de signer régulièrement de nouveaux contrats. Un jour, dans un grand restaurant français de Chicago, qui avait pourtant fait travailler un universitaire français sur son menu, il relève jusqu’à 21 erreurs…
Toast au Reich et carte de cigares
Jack a la (bonne) habitude de tout garder – même les épreuves qu’on lui spécifie de jeter après corrections. On peut ainsi découvrir dans la dizaine de boîtes conservées par sa fille des menus datant du début du XXe siècle – le plus ancien remonte à 1913. En 70 ans, l’imprimerie avait créé plus d’un million de menus.
Parmi ses clients, on compte le Chateau Champlain Hotel, le restaurant de la Tour CN à Toronto ou encore de nombreux hôtels Hilton et Hyatt aux États-Unis. Du côté des Montréalais, le Queen Elisabeth, le Ritz Carlton, mais aussi d’autres adresses disparues aujourd’hui, comme le Ruby Foo, Miss Montreal, Dagwood, Sambo, Leone, le Thorncliffe, le Continental… Cette collection de menus conservés est un véritable morceau de l’histoire de la restauration montréalaise du XXe siècle.
On peut notamment se rendre compte de l’évolution des dessins, du design, mais aussi de la monnaie (le menu de Noël au Ritz en 1914 coûtait 1.25$). Dans certains vieux menus figurent les prix des cigares, au même titre que ceux des vins.
Jack a conservé des menus d’événements spéciaux donnés au Ritz, comme le Jubilé de Diamant du Canada en 1927, ou encore un dîner d’honneur pour la Reine Marie de Roumanie en 1926. On peut aussi admirer un menu de 1928 pour un souper donné par donné par le maire Camillien Houde en l’honneur d’un groupe d’aviateurs allemands ayant volé au-dessus de l’Atlantique; il y est précisé que les toasts seront portés pendant le repas en l’honneur du président du Reich allemand ainsi qu’au Président de l’État libre d’Irlande.
Des lettres en plomb jusqu’au fax
Hotel Printing s’occupe de tout, du dessin du design jusqu’à l’impression finale. Jack travaille beaucoup, et il emmène parfois avec lui ses quatre enfants quand il va à l’imprimerie en fin de semaine. Pendant qu’il vérifie ses épreuves, il laisse les enfants s’amuser dans la salle à dessin – le lundi matin, les dessinateurs professionnels râlent car les feutres n’ont pas été rebouchés et ont séché…
Quelques années plus tard, sa fille Anna travaille un temps avec lui, et compte bien reprendre la business. Elle part finalement dans la pub – et est aujourd’hui à la tête de sa propre agence d’illustrateurs, la très connue Anna Goodson Illustration Agency. Impression, illustration, dessin ou photo: finalement, la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre.
Au fil de sa carrière, Jack Goodson a eu le temps de voir évoluer le milieu, de ses premiers menus réalisés en plaçant les typographies de plomb à la main jusqu’aux premiers fax. L’imprimeur a travaillé jusqu’à l’âge de 80 ans. Vers la fin, il disait faire 75% de ses affaires avec les Américains : “Ils continuent à dépenser un peu plus pour l’originalité…”, confiait-il en 1989 à The Gazette.
Depuis, il nous reste cette superbe collections de centaines d’artefacts conservés par Anna Goodson, un petit trésor historique montréalais qui nous montre que d’hier à aujourd’hui, les Québécois ont toujours été des foodies…