Dans les coulisses du nouvel Europea
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Dans les coulisses du nouvel Europea

Le luxe a changé. C’était le mot d’ordre du dernier Congrès international des grandes tables du monde, et le chef montréalais Jérôme Ferrer l’a bien compris. En travaillant sur son nouveau complexe culinaire, qui comprend notamment sa grande table, l’Europea, il a décidé de faire du repas gastronomique un véritable spectacle. « Y’a plus rien d’intéressant dans l’assiette et la nappe blanches aujourd’hui, affirme le chef. Y’a plus personne qui prend ça en photo sur Instagram. Il fallait tenir compte de cette réalité. »

Pour monter son spectacle, il fait appel à René Richard Cyr, qui a notamment mis en scène des shows de Céline Dion ou du Cirque du Soleil. « C’était bien d’avoir le regard extérieur de quelqu’un qui n’est pas de la restauration pour nous dire ce qui est ennuyeux et ce qu’il faut changer. René m’a permis de faire un bond de 15 ans en cuisine », avoue Jérôme Ferrer. Installé dans un des fauteuils rouges du JP Bar, où l’on est accueillis avant le repas à l’Europea, René Richard Cyr confie ne pas vraiment être un amateur de grandes tables. « J’aime bien la bouffe, mais je ne peux pas me qualifier de gastronome expérimenté. C’est peut-être ça qui a été une des qualités, d’être un spectateur neuf, ouvert. » Un spectateur, comme au théâtre, son univers habituel. À l’Europea, le menu donne le ton dès la première page où l’on lit Attention Mesdames et Messieurs, dans un instant, ça va commencer...

Le metteur en scène précise : ici, ce n’est pas un souper-spectacle, le souper, c’est le spectacle. En bon metteur en scène, il a réfléchi à tout, de la lumière à la musique en passant par les costumes. Après le bar, plutôt sombre et classique avec son marbre et ses fauteuils en velours, on arrive dans la salle à manger, avec de la moquette à grosses fleurs, de larges baies vitrées sur la rue et un design moderne. Mais les nappes rouge sombre rappellent le rideau au théâtre. « Quand le client arrive, toute la table est démise, pour créer à partir de zéro, explique René Richard Cyr. Dans la table, il y a de petits tiroirs où se trouve le menu. On veut rendre le client le plus actif possible. » On peut alors opter pour le menu végétalien (85$) ou le menu dégustation (150$), dont l’expérience dure 2h30. Ce menu compte douze scènes – ici on ne parle pas de services -, découpés en actes, avec prologue et épilogue.

Casque audio et fromage minute

Jérôme Ferrer
Jérôme Ferrer

« On a travaillé fort de façon à déstabiliser le consommateur, qu’il n’ait pas de point de repère avec un restaurant conventionnel, indique le chef. C’est un immense travail de programmation, un vrai travail artistique et donc de logistique pour créer un beau ballet visuel. » Parmi les petites surprises, on nous parle d’un partenariat avec Sennheiser, afin d’offrir un expérience vidéo et son aux clients. On y voit un aliment et son producteur, puis on retire le casque, et paf, le plat sous nos yeux. « Pour avoir de l’information sur un producteur, tu vas sur Internet. Mais dans les restos, les sommeliers ou serveurs font comme en 1940 et te parlent à l’oral de l’histoire et du producteur. Et on s’imagine le domaine, le lieu… Mais aujourd’hui, on a la technologie pour le montrer », explique Jérôme Ferrer, enthousiaste.

Au moment du fromage, au lieu d’apporter un chariot, un fromage frais est fait directement devant les clients. « C’est simple mais audacieux, commente le metteur en scène. On a renouvelé et inventé, tout en gardant les signatures de l’ancien Europea. Y’a des acquis qui sont formidables et qu’il ne faut pas perdre. » Alors que personne n’est jamais au même moment dans le repas, contrairement au théâtre où on profite tous du spectacle en même temps, il faut faire en sorte de garder la surprise pour les plus tardifs. Enfin, le vrai défi a été de faire en sorte que la mise en scène ne fasse pas d’ombre à la cuisine et que le produit reste la vedette du repas. « Il ne faut pas pour autant créer une mise en scène folle qui fasse que le saumon servi, aussi bon soit-il, semble fade à côté de l’enveloppe. On voulait trouver le juste milieu pour étonner et surprendre, sans aller dans l’esbroufe », explique René Richard Cyr.

Le restaurant a ouvert il y quelques semaines à peine, et les clients sont au rendez-vous.  « Ils ont vécu une expérience. C’est la première fois qu’ils participent à quelque chose d’aussi immersif, indique Jérôme Ferrer, citant quelques réactions. C’est une déconnexion, un voyage… » Le chef, toujours sur plusieurs projets en même temps, garde un œil sur son cellulaire pendant l’entrevue et pianote quelques messages à l’occasion. On nous indique cependant qu’il sera bien là chaque jour aux cuisines de son nouvel Europea, que les clients pourront visiter après le repas pour le rencontrer. Le menu préparé pour l’ouverture va rester à la carte pour neuf mois environ, les ingrédients des différents plats évoluant au gré des saisons. Quant à l’ancien emplacement de l’Europea, un peu plus haut sur la rue de la Montagne, il devrait prochainement ouvrir ses portes avec un nouveau concept, sous le nom de La Chambre à coucher, où l’on prendra ses repas allongé… On vous disait que le luxe avait changé.

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