Portrait de chef : Étienne Demers
Après avoir cuisiné dans différents établissements de Québec et de Montréal, Étienne s’offre pour ses 35 ans toute une aventure, celle de lancer son propre resto dans les Laurentides avec sa compagne sommelière: la Belle Histoire. Entretien avec un chef entrepreneur.
Voir : Comment es-tu arrivé en cuisine?
Étienne Demers : Je ne me suis jamais posé la question de ce que j’allais faire comme métier, ç’a toujours été évident. Quand j’étais jeune, je me suis beaucoup fait trimballer dans des restos… Tout petit déjà, je voulais faire flipper la poêle. Ma grand-mère cuisinait pas mal aussi; mais elle ne faisait pas de la bouffe traditionnelle de grand-mère, y avait toujours un petit twist bien à elle.
Plus grand, j’allais faire de grosses courses pendant mes congés et je cuisinais pour mes amis. Après le secondaire, je me suis inscrit au cégep en gestion de restaurant. Ma première job, ç’a été en cuisine.
Tu es passé par quels restos?
J’ai commencé au Café Krieghoff à Québec. Puis, il y a eu le Pain béni, aujourd’hui devenu Chez Jules, où j’ai été sous-chef pendant cinq ans, avant de travailler à L’Initiale. Je suis parti à Montréal en 2012: j’ai cuisiné aux 400 Coups, à Racine, au Bistro Accords, où je suis passé de sous-chef à chef au départ de Simon Mathys, puis à Hoogan & Beaufort, à la Brasserie Saint-Denis… Et depuis mars, on travaille sur La Belle Histoire, notre projet de restaurant à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.
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C’est quoi ta cuisine, en quelques mots?
J’ai une base française, et j’adore cuisiner de saison. Je me considère plus comme un technicien qu’un artiste; pour moi, dans la cuisine, faut d’abord maîtriser les bases pour avoir un résultat. J’aime beaucoup cuisiner l’acidité, la fraîcheur…
J’ai aussi voyagé un mois en Espagne par le passé, et ç’a changé ma technique culinaire. J’y ai découvert le sofrito; ça ressemble un peu à la technique indienne pour faire le cari. Ça permet de faire des couches de saveurs. Ça prend du temps, mais ça donne beaucoup de goût. J’utilise ça pour faire mes sauces aujourd’hui.
Un producteur dont tu aimerais souligner le travail?
Il y en a beaucoup! Par exemple, le Jardin des Funambules, lancé par un ancien de la Ferme des Quatre-Temps, avec qui j’ai travaillé au Accords, au Hoogan & Beaufort… Ils ont de super beaux produits. Quand j’ai quitté Montréal, ils m’ont recommandé les Maraîchers de la Rouge. Et on a eu un gros coup de cœur pour le Marché de Val-David, dans la région. J’adore par exemple les produits de John de la Ferme des Petits Cailloux: il fait des petits fruits, et de l’agneau qu’il nourrit avec le marc de son jus de pomme!
On travaille aussi avec la coop Terroir laurentien, qui regroupe cinq producteurs. Je trouve ça super important d’encourager les petits producteurs locaux.
Il y a des chefs qui t’inspirent plus que d’autres?
Le plus marquant pour moi: Thomas Keller et son livre The French Laundry Cookbook, qui m’a beaucoup inspiré. Sa vision me rejoint. Daniel Humm aussi, et son Eleven Madison Park: The Cookbook. Ce sont deux livres dans lesquels je retourne souvent, que je lis et relis… Et chaque fois, j’y découvre de nouvelles choses. À Montréal, il y a les restos Marconi et Montréal Plaza, dont j’adore la cuisine. Un chef qui se démarque beaucoup au Québec: Simon Mathys, qui a une cuisine bien à lui.
C’est quoi la gastronomie québécoise, pour toi?
Il y a un phénomène, surtout à Montréal: il y a un buzz autour d’un produit, et tout le monde le travaille après. Tu as de l’argousier sur un menu et la semaine suivante, tu en retrouves partout. Le nouveau truc, là, c’est le mélilot. Y en a partout. Et avec raison, car on a de superbes produits ici.
La cuisine québécoise est en pleine effervescence. On a un terroir très riche et on commence à peine à l’exploiter, à y trouver notre identité. Même si certains chefs font ça depuis toujours, comme Normand Laprise. On veut aller au plus proche des producteurs aussi, des produits… Y a 20 ans, je connaissais personne qui voulait aller planter des légumes; aujourd’hui, plein de jeunes se lancent comme maraîchers.
Un produit que tu aimes tout particulièrement?
Les asperges! En saison, j’adore ça. Ma blonde est tannée d’en manger, mais j’en cuisine, car après on n’en aura plus. Le homard aussi, on en a du super bon ici.
Tu as une madeleine de Proust culinaire?
La sauce à spag de ma mère… Elle ne m’a jamais fait de petits plats à emporter quand je venais chez eux, mais depuis que ma blonde a dit qu’elle adorait sa sauce à spag, elle nous en donne! Et c’est vrai que je l’adore.
Tes trucs pour rester en forme avec ce métier très exigeant?
En ce moment, j’ai pas beaucoup de temps avec l’ouverture… Mais on s’est commandé un paddle board, et j’aurai plus qu’à traverser la rue pour aller au lac, en face du resto. Je fais du vélo aussi. Le sport, ça permet de bien se vider la tête.
Les pires inconvénients et les plus beaux avantages du métier de chef, selon toi?
Je fais ce métier depuis assez longtemps pour accepter que c’est ça la vie de chef! Mais c’est sûr que dans les inconvénients, il y a les horaires. C’est facile pour un chef d’être 20 heures sur 24 dans sa cuisine, y a toujours quelque chose à faire. J’ai une petite fille que je vois pas tant que ça, car je travaille tout le temps. Et quand mes amis sont en congé la fin de semaine, moi je suis en cuisine, donc on ne se voit pas.
Mais maintenant, ce travail on le fait pour nous, ma blonde et moi! C’est ça l’avantage. Ce métier nous fait rencontrer du monde intéressant aussi… Et on a la chance de bien manger et de boire de bons vins ensemble, et c’est ça qu’on aime le plus faire.