Portrait de chef : Yvan Lebrun
Si on donne habituellement le micro aux jeunes de la relève, on s’entretient ce mois-ci avec un chef qui a participé justement à former cette nouvelle garde. Retour sur 30 ans de gastronomie avec le chef du restaurant L’Initiale, à Québec, à quelques semaines de sa retraite.
Voir: Vous annonciez fin juillet la fermeture prochaine de votre restaurant. Qu’est-ce qui a motivé cette décision?
Yvan Lebrun: Faut savoir s’arrêter. Au bout de 30 ans, c’est presque normal. Et c’est bien de pouvoir choisir quand on veut s’arrêter; on n’a pas pris cette décision par défaut. On a la chance d’être en santé, faut qu’on en profite! On va commencer par se reposer un peu, et on verra ensuite. S’habituer à ne pas travailler, ça peut être aussi dur que de s’habituer à travailler…
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Comment ont réagi les clients en apprenant la nouvelle?
Y en a qui sont déçus, mais ils comprennent. Et beaucoup veulent revenir manger avant que ça ne ferme! Le plus difficile, c’est de leur trouver une place; il nous reste juste deux mois d’activité. Mais c’est important que les clients soient contents jusqu’au bout. On va faire ce qu’on fait le mieux: continuer exactement comme on a toujours fait.
Pourquoi ne pas avoir revendu l’affaire?
Si l’opportunité s’était présentée, oui, on l’aurait fait, mais ça n’a pas été le cas. Donc on n’a pas vendu l’opération, juste les murs.
C’est quoi votre cuisine, en quelques mots?
Au bout de 30 ans, on arrive à faire une cuisine très personnelle, que les gens reconnaissent. Même si le menu change assez régulièrement, il est dicté par les saisons. Et ici, on est curieux de nature! J’aime tout; s’il y avait quelque chose que je n’aimais pas, je ne le cuisinerais pas.
On collabore beaucoup avec les producteurs locaux, comme La Ferme des Monts de Marc Bérubé, dans Charlevoix. C’est un contact très personnalisé; la confiance, c’est important. Et ça fait partie du travail de chef d’encourager ces gens. Ils ne font pas beaucoup de volume.
Le plus bel avantage d’être chef?
C’est merveilleux comme métier! On a la chance de rencontrer tellement de monde… La seule contrainte à respecter: bien servir les gens. C’est une vraie fierté de se dire que les gens viennent manger chez nous. Le nombre de gens qui ont été heureux ici, c’est quand même assez impressionnant! Quand on a des clients, tout est au beau fixe.
La pénurie de main-d’œuvre est un gros problème dans la restauration. Comment avez-vous géré ça?
Ça a pas été tant que ça un problème pour nous. Dans le personnel, ça a pas trop bougé; certains sont là depuis très longtemps. Maintenant qu’on ferme, l’important pour nous, c’est de replacer tout le monde. On va pas les laisser comme ça.
L’Initiale a décroché de belles récompenses; c’est notamment le seul restaurant Cinq Diamants au Québec…
Les récompenses, ça fait toujours plaisir. Ça motive, et c’est bon pour l’équipe. Mais après ça, il faut continuer de travailler!
La cuisine au Québec a beaucoup changé ces dernières années. Que pensez-vous de cette évolution?
L’évolution, c’est pas prêt de s’arrêter, et tant mieux. On a évolué aussi à L’Initiale, c’est certain, mais le fond reste le même. C’est la clientèle qui s’adapte; dans ce type de resto, on peut vraiment faire ce qu’on aime. Il y a aussi plus de restos, et c’est une bonne chose. Je ne vois pas ça comme de la concurrence: ça amène plus de monde à Québec et au Québec pour manger, et ça fait plus de choix pour les gens.
Votre resto préféré, c’est lequel?
On ne sort pas beaucoup au resto, on n’a pas le temps… Mais maintenant, on va en profiter! Sinon, moi, je suis un bon client, je ne suis pas très critique envers ce que font les autres. Je suis plutôt critique envers mon travail à moi. Mes meilleurs souvenirs de restos, je dirais que ce sont les trois macarons que j’ai faits en France. Les premières fois qu’on fait un resto comme ça, ça marque.
Vos trucs pour rester en forme avec ce métier très exigeant?
Je bois pas mal de café. Environ sept par jour…
Vous travaillez avec votre conjointe, Rolande Leclerc, qui gère les opérations à L’Initiale. C’est comment de travailler en couple?
On a de la chance de travailler à deux dans le même resto. Ça élimine beaucoup d’inconvénients, comme les horaires. Et on a la même vision des choses.
Beaucoup de jeunes chefs sont passés par votre cuisine…
La formation, ça fait aussi partie du travail. On fait pas ce métier pour être égoïste: il faut être généreux dans les deux sens, avec les clients et avec les gens qui travaillent avec nous. Ceux qui se lancent aujourd’hui, ils ont déjà beaucoup de courage. Ce que je leur dirais: si tu fais quelque chose de sincère et de bon, tu vas avoir des clients.