Portrait de chef : Constant Mentzas
Le chef fête cet automne les cinq ans de l’Ikanos, son restaurant du centre-ville de Montréal. Constant s’est prêté au jeu de l’entrevue avec franchise et humour. Avec lui, on a discuté poisson et cuisine grecque, mais aussi pénurie de main-d’œuvre – un problème auquel il a peut-être trouvé une solution…
Comment es-tu arrivé en cuisine?
Mon père était restaurateur. Plus restaurateur que chef, plus dans les affaires que la cuisine, mais j’ai grandi dans les restos. J’ai étudié en histoire de l’art puis en cinéma. J’ai produit sept films et j’en ai réalisé trois. La restauration m’a peut-être formé pour le cinéma, et vice-versa… Mais la direction de production, je trouvais ça pas si stimulant.
Donc quand mon père m’a demandé un coup de main au resto y a 10 ans, j’y suis allé. J’ai commencé en septembre, et à la mi-octobre, on se serait tués; c’était les pires trois mois de ma vie! J’ai fini par racheter un resto un peu sur un coup de tête – le Symposium, sur Saint-Denis. Je travaillais avec mon frère, qui lui était dans la restauration – il est notamment passé par le Toqué!. Le Symposium est devenu Tasso, en hommage à l’ancien propriétaire décédé.
Quand mon frère est parti, je suis devenu chef, parce que j’avais pas de remplaçant. J’avais un peu fait tous les postes dans les restos de mon père, mais j’ai jamais fait d’école de cuisine. Selon moi, t’as pas besoin de tout savoir, t’as besoin de savoir ce que tu mets au menu. La cuisine, j’approche ça morceau par morceau. Puis j’ai trouvé un local sur McGill un peu par hasard et on y a ouvert l’Ikanos…
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C’est quoi ton style de cuisine?
L’Ikanos est resté dans le même esprit que le Tasso: on est un resto de poissons et fruits de mer grillés. Je lis parfois qu’on fait de la cuisine grecque – peut-être parce que le nom du resto est en grec (Ikanos veut dire capable, habile). Mon resto, il est aussi grec que moi, né de père grec et de mère québécoise. Pour moi, la cuisine grecque, c’est une cuisine de proximité: tu cuisines ce que t’as, et c’est ce que je fais à l’Ikanos.
Je ne suis pas très viande. J’aime beaucoup le poisson, et je trouve qu’il y a une certaine sensibilité dans sa préparation. T’es comme obligé d’y aller en douceur et d’être dans l’humilité. Avec l’âge, ça me va de prendre moins de place, d’être moins dans l’assiette…
Un plat qui t’a marqué?
Les plats de poisson en général. À l’Ikanos, on vient d’avoir un nouveau permis d’importation qui me permet de recevoir des poissons de vraiment partout. Avec mon oncle pêcheur, on passait nos étés en Grèce à pêcher puis on vendait le poisson sur les quais. Aujourd’hui, la Grèce, j’y vais plus aussi souvent que je voudrais…
Mon oncle faisait de la soupe kakavia: c’est une soupe de légumes et poissons cuits jusqu’à ce qu’ils se défassent tout seuls, puis on ajoute plein de citron pour masquer le goût du poisson trop cuit! J’avais mis une soupe kakavia revisitée au menu du Tasso, mais j’ai arrêté: je me suis rendu compte que je travaillais un plat dont les gens d’ici ne connaissaient même pas la version originale. C’était trop prétentieux – un peu comme mon premier film, en noir et blanc, sans dialogue et en six plans!
Quel est le pire inconvénient quand on travaille dans la restauration?
La pénurie de main-d’œuvre! Dans l’idéal, on serait douze juste en cuisine; on était cinq l’an passé. Ça se fait, mais le menu est plus simple. Le recrutement me prenait beaucoup de temps aussi, entre les entrevues, la gestion des équipes en training… C’est épuisant.
Et les candidats ne sont pas toujours respectueux: ils ont le choix, car il savent qu’on est en situation de plein emploi actuellement au Québec. Ils arrivent avec une liste de demandes – comme ne pas travailler le soir ou le week-end – ou ils ne se pointent pas aux entrevues. Je ne suis pas quelqu’un de stressé, mais quand un employé passe plus de temps lors de sa première journée à donner son opinion qu’à travailler… Mais on ne dit rien, car toute l’île de Montréal est mal prise et on a besoin de main-d’œuvre. On est rendus moumounes!
Cette année, je voulais grossir mon équipe. J’ai commencé les processus de recrutement en février, et en juillet, j’avais toujours pas réussi. Donc j’ai pris les grands moyens: travailler avec un recruteur de travailleurs étrangers en restauration. Beaucoup des candidats viennent d’Europe. Avec le gouvernement, les quotas ont été réduits ou coupés pour presque tout le monde, sauf les Français et les francophones. Je fais des entrevues sur Skype, et j’ai un avocat en immigration qui fait des permis de travail pour deux ans aux candidats recrutés. Les employés vont rester, car je suis leur porte d’entrée pour la résidence au Canada. C’est un peu triste, mais on en est arrivés là…
Ce recrutement, les permis de travail, etc., ça prend du temps, et c’est l’équivalent de deux semaines de salaire. Mais recruter des incompétents, ça coûte cher aussi. À court terme, je ne voyais pas d’autre solution. Avant, quand on voyait les nouvelles livraisons de légumes arriver, on n’était pas si contents; on savait que ça allait demander du temps et on n’avait pas la main-d’œuvre pour les cuisiner et imaginer de nouveaux plats. Maintenant, on l’a, ce temps.