Ikanos, du potager à l’assiette
Depuis quelques temps, les légumes que le chef Constant Mentzas cuisine dans son restaurant du Vieux-Montréal proviennent des récoltes de son potager, situé près d’Hemmingford. Du fait maison, jusqu’au jardin.
Constant Mentzas est surtout connu pour sa passion des poissons, qu’il décline sous toutes les coutures (et dans un menu de 16 à 21 services) à l’Ikanos. Grâce à un nouveau permis d’importation, il apprête désormais dans son restaurant des produits en provenance de partout dans le monde. Mais ce pescatarien ou presque rêvait aussi du potager de sa grand-mère, qui cuisinait les produits frais son jardin… Et surtout, il voulait travailler plus de variétés de légumes, notamment de tomates. C’est cette envie, plus que la visée écologique, qui l’a poussé à acheter un coin de terre pour y faire pousser ses légumes.
Direction Hemmingford donc, en Montérégie, à deux pas de la Ferme des Quatre-Temps. Le potager est à 45 minutes de voiture de l’Ikanos, ce qui permet au chef et à ses employés de s’y rendre facilement. Sur cette terre d’un peu plus qu’une acre (1 000 mètres carré), Constant a notamment fait planter des légumes ancestraux, à savoir des vieux cultivars de variétés qui n’ont pas été hybridées industriellement. «D’habitude, plusieurs facteurs entrent dans la sélection des variétés, comme la productivité de la plante et la difficulté de la culture, explique-t-il. Mais ici notre priorité c’est de trouver de nouveaux goûts et textures.»
Production expérimentale
Ce potager, c’est aussi un grand terrain de jeu pour le chef: cette année, 52 variétés de tomates ont été plantées, 36 pour les melons, 26 pour les zucchinis et 33 pour les concombres. De quoi essayer, goûter, cuisiner et comparer… Un tiers de la production est expérimentale et aide à définir la plantation de l’année d’après. «C’est la troisième année qu’on a ce potager et on est encore dans les tests», indique Constant. Il lui est parfois difficile de trouver des informations sur les produits plus spécifiques, comme les piments ou les rabioles, mais dénicher une variété particulière n’est jamais un problème grâce à de petits semenciers de niche qui vendent notamment depuis les États-Unis. «À l’ère d’Internet, on trouve tout», assure le chef.
Les pratiques de culture au potager sont bio, de l’engrais (du fumier organique de poulet, de mouton et de vache, farine de sang ou d’os, etc.) aux méthodes anti-parasitaires (filets contre les insectes au lieu d’utiliser des produits chimiques). Si Constant essaie de se rendre au potager une fois par semaine, une employé se consacre à temps plein aux cultures. «Pour réussir, tout est dans la planification», résume le chef. Son projet pour l’année prochaine est d’élargir la saison au possible, par exemple en faisant une deuxième période de semis ou en travaillant avec des légumes racine.
Économique? Grave erreur
Si le concept du potager fait rêver, il engendre souvent des problèmes de rendement et demande beaucoup de travail. D’autant que Constant vise les variétés ancestrales plutôt que les récoltes régulières et donc rentables, comme l’ail ou les salades. «Je pensais que l’idée du jardin serait économique comme formule, mais grave erreur», confie le chef. Difficile encore d’évaluer le gain en légumes – qu’il chiffre environ à 50 000 dollars annuels -, contre 55 000 dollars à dépenser en équipement et main d’œuvre pour le potager.
Mais ce qui n’a pas de prix, c’est la qualité des légumes qui sont servis aux clients de l’Ikanos. La formule du potager à l’assiette fait rêver beaucoup de chefs mais reste encore très peu répandue… À Québec, Chez Muffy – anciennement Le Panache, ça fait une dizaine d’années que les légumes travaillés dans les cuisines sont issus du potager du restaurant, situé sur l’Île d’Orléans. Plus récemment, la chef du restaurant montréalais Su, Fisun Ercan, a acheté une petite ferme pour alimenter ses plats en légumes bio locaux et de qualité.
À l’Ikanos, qui fête ses cinq ans ce mois-ci (soirée prévue le 17 octobre), le restaurant profite de deux livraisons du potager par semaine. «En général y a un intérêt des clients, indique Constant. Mais on ne passe pas encore au-delà de l’effet de surprise, du « Ah ouais? Vous faites votre jardin? »» Le menu est fait en fonction des arrivages, laissant libre cours à l’imagination. «Avec les cuisiniers, on est contents quand on voit les livraisons arriver! On sait qu’on va créer et s’amuser…» À défaut d’avoir trouvé le modèle économique, le chef a en tout cas trouvé un modèle bio, local et gourmand. À goûter d’urgence.