À Arvi, on écoute Snoop Dogg en mangeant du caviar
Un an après son ouverture dans Limoilou, à Québec, Arvi décroche la première place du classement enRoute des meilleurs nouveaux restaurants au Canada. À la tête de l’établissement, Julien Masia, un chef français qui veut «bousculer les conventions»…
Pour avoir une table au Arvi, il faut attendre fin janvier. La liste d’attente est longue pour le petit resto de 35 places. «Mais c’est un beau problème», reconnaît Julien Masia, chef-propriétaire. Le restaurant s’est hissé en tête du classement enRoute des meilleurs nouveaux restaurants au Canada, publié fin octobre, dépassant le très prometteur Pastel. «Je suis pas trop un gars de guide, de succès. C’est pas forcément ma tasse de thé. Mon principal objectif, c’est de remplir le restaurant. Ce qu’on fait, j’y crois depuis le jour 1.»
Le système de pré-paiement mis en place à Arvi, qui en avait pourtant rebuté certains au début (le menu est payé d’avance, et les extras sur place), n’a pas empêché le restaurant d’attirer les foules et les récompenses. Et si les no-shows sont un gros problème en restauration, seuls deux clients ont annulé leur visite en un an. Mais les premiers mois ont tout de même été difficiles, se souvient Julien. Il a même pensé abandonner quelques fois, si ce n’était de son associé et mentor François Blais, le propriétaire du Bistro B, où il a travaillé avant d’ouvrir son propre resto.
Pas juste des cuisiniers, pas juste des serveurs
Arvi, projet réfléchi pendant un an et demi, est un resto à l’image du bagage de son chef. «Le côté guindé m’excite un peu moins. J’aime le professionnalisme des grandes maisons, mais tu peux avoir une approche différente. Par exemple, la musique : ici, y’a pas de classique. Je vois pas le problème à écouter du Snoop Dog en mangeant du caviar… Je voulais ouvrir un truc différent, sinon ça me tentait pas d’avoir un restaurant.»
Le menu unique – en deux versions, régulier ou végétarien – se décline en cinq services. Les plats sont raffinés, inspirés de l’expérience du chef en restos étoilés, et mettent à l’honneur des produits de saison et du terroir (fraises du Québec, homard de Gaspésie, légumes bio de Marc Bérubé dans Charlevoix, bulles du Domaine Bergeville, vin blanc du Domaine Beauchemin…) Si le concept du menu unique se voit un peu à Montréal, il est plutôt rare dans la capitale.
Ici, pas de frontière entre la salle et les fourneaux. Le service à table est fait par celui qui a préparé le plat. Pas de plongeur non plus : les 7 employés sont polyvalents et font un peu de tout. «C’est un gros bordel. Mais un bordel organisé! rit Julien. Là on commence à avoir du monde donc je délègue, pour que ça avance. Mon objectif à moi, maintenant, c’est plus la création.»
Les profils sont différents : chacun a sa force et gère plus particulièrement un aspect selon ses compétences, mais l’équipe le forme sur le reste. Par exemple, tout le monde participe aux dégustations de vin. «On n’est pas juste des cuisiniers, on n’est pas juste des serveurs, explique le chef. Le client sait pas trop qui est qui…» C’est justement ce qui revient le plus souvent dans les commentaires en fin de repas, selon Julien : le plaisir de voir différentes personnes à sa table, de ne pas être servi par un seul employé. Le tout crée une ambiance conviviale et surprenante.
Pour le chef, la polyvalence à Arvi va plus loin : on la retrouve jusque dans les pourboires, partagés en fin de soirée à égalité entre les membres de l’équipe. «Au resto, on rentre ensemble et on part ensemble, insiste le chef. On est tous le même bateau.» Un bateau qui a jeté l’ancre à Limoilou, un quartier que Julien aime beaucoup : «C’est vivant, familial, les loyers sont moins chers aussi… Les gens d’ici sont fiers de ce qui se fait à Limoilou, et fiers de nous.»
Produits québécois, nom français
Si Julien parle avec des pointes d’accent d’ici et est si ancré dans sa ville, il est lyonnais d’origine. Le chef a quitté la France – «un peu trop morose et saturée» – pour immigrer au Québec il y a quinze ans. C’est à l’Île d’Orléans qu’il atterrit, accueilli par des amis. Il a travaillé depuis dans plusieurs grandes tables de la capitale (Laurie Raphaël, L’Utopie, L’Initiale…). Julien s’est limité à peu d’établissements, par choix. «Si tu veux apprendre, je pense que c’est important de rester plus longtemps dans un resto. La première année, t’apprends, la deuxième tu donnes ton plein potentiel, et à partir de la troisième tu commences à évoluer… Aujourd’hui, c’est grâce à ces restos que je suis qui je suis.»
En attendant, le chef travaille avec des petits producteurs, pour donner le meilleur du produit. Mais si la cuisine met l’accent sur les produits québécois, le nom du resto, lui, est bien français et fait un clin d’œil à la Savoie, où Julien a longtemps vécu. «Arvi, ça signifie au revoir en patois savoyard. On dit ça aux amis quand ils s’en vont… Dire au revoir à un client, c’est quand même important.»