Ricardo : « Quand je me vois, je vois une marque de commerce »
Restos / Bars

Ricardo : « Quand je me vois, je vois une marque de commerce »

Plus besoin de présenter le cuisinier préféré des Québécois, gendre idéal qui court des plateaux de télé aux galas de charité, des locaux de son entreprise longueuilloise à ses tournages à l’étranger. Pas facile donc d’obtenir une entrevue en personne avec ce « gastrosexuel » (lu dans Véro magazine), entrevue qui se fera finalement par téléphone. On nous avait annoncé une trentaine de minutes, mais le chef, bavard, dépasse largement l’heure d’entretien, confirmant sa réputation de personnalité attachante et généreuse.

Si on essaie un peu de gratter le vernis pour faire apparaître l’homme derrière sa façade de marque, c’est peine perdue : il est en effet terriblement gentil et transparent. À la tête d’une entreprise de plus de 200 employés, le chef le plus riche du Québec met tout le crédit sur sa femme et évoque ses filles à chaque détour de phrase. Il tutoie d’emblée, nous remercie chaleureusement de lui consacrer un article et se confond en excuses quand il coupe la parole par mégarde. Entretien avec un mec simple comme ses recettes. 

VOIR : Toi qui prône les repas en famille, t’es pas souvent chez toi. Comment tu vis ça?

Ricardo : C’était plus difficile à vivre quand mes filles étaient jeunes et que je les voyais sur FaceTime, mais plus elles grandissent, plus elles comprennent pourquoi je peux pas être là. Avec la Tablée des chefs, la recherche contre le cancer et tous ces organismes qu’on supporte, ça fait beaucoup de soirées ; en général, quand je ne suis pas là, c’est pour des levées de fonds. C’est d’ailleurs la seule raison que je peux donner quand je suis absent pour que les enfants ne soient pas en maudit : si je lève des fonds pour la recherche contre le cancer, elles savent que ça va venir en aide à d’autres femmes comme leur mère et que c’est important. 

On a aussi élagué beaucoup de choses pour être plus ensemble en famille. Par exemple les vignobles : on a tout vendu il y a deux ans. J’ai déjà été parti 110 jours sur une année… J’essaie d’avoir un équilibre entre le professionnel et le personnel. J’aime beaucoup parler à des gens qui ont été capables malgré les obstacles de marier la famille et le travail, parce que c’est ce à quoi j’aspire. Quand j’ai rencontré Martha Stewart, j’étais content non pas pour l’aspect économique, mais pour le côté humain. Elle avait des mains assez rough de jardinière – j’aurais été déçu de la voir avec des faux ongles! – et on a parlé de jardinage, de cuisine et de famille. C’était inspirant. 

Tu es plus à la maison aujourd’hui, mais les caméras te suivent (littéralement) jusque dans ta cuisine…

Oui! Je suis allé me cacher dans ma chambre pour répondre au téléphone, il y a 20 personnes chez nous là. Mais ça reste très organisé et respectueux. Et puis faut aussi apprendre à apprivoiser la solitude parce que, étonnamment, je suis toujours avec du monde mais je suis toujours seul. C’est toujours superficiel, jamais des grands moments de réflexion… Tu finis par trouver ton intériorité autrement. 

Tu as intégré le Musée Grévin en novembre dernier. Ça fait quoi d’avoir ta statue de cire?

La plupart des gens qui finissent avec cet honneur-là se sont déjà vus avant, à la télé par exemple. Moi, quand je me vois, je me vois plus : je vois une marque de commerce. Mais à côté de ça, j’ai toujours été très groundé parce que j’ai des enfants qui me remettent à ma place. Quand on a appris pour Grévin, ils ont dit : « Oh my god, on avait déjà trop d’un Ricardo, là on va en avoir deux… » Ça ramène toujours les choses à la bonne place! 

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Ta popularité vient avec les selfies et les dédicaces… Tu ne t’en lasses pas après toutes ces années?

J’aime l’accessibilité, le côté social des choses. C’est la plus belle affaire. Quand je fais des dédicaces, j’ai le même bonheur à la première qu’à la trentième personne. Chaque histoire est unique. Quand Brigitte était à l’hôpital, je me faisais un devoir, une tristesse et un plaisir d’aller voir les autres femmes sur l’étage ; à chaque rencontre, c’était un cadeau de la vie. Les gens sont à livre ouvert pendant quelques minutes, ils te racontent tout, c’est la vie dans ce qu’elle a de plus vraie. On parle beaucoup de l’instant présent et moi j’ai bien de la misère avec ça, même avec le yoga ou la méditation ; mais parler avec ces gens vrais, c’est la meilleure façon de focuser.

Il y a des rencontres qui t’ont particulièrement marqué?

Il y a deux ans, il y en a une que j’ai trouvé très difficile… C’était un homme qui m’a parlé de sa femme en train de faire le livre de cuisine de ses filles parce qu’elle allait mourir. Il m’a dit : « On a toujours mangé du Ricardo en famille, et elle aimerait vraiment ça pouvoir te voir avant de mourir ». Je l’ai appelée car j’étais pas au Québec à ce moment-là, et je lui ai dit que la semaine suivante, dès que j’allais revenir, j’allais faire moi-même son gâteau de fête et j’allais le porter chez eux ; sa femme est décédée une journée avant que je revienne. J’ai pleuré comme si c’était ma famille… L’année passée, le mari et les enfants sont venus au restaurant manger avec nous ce gâteau. 

Tu t’es beaucoup impliqué dans la vie publique, notamment à Chambly, où tu résides. La politique, t’y as déjà pensé?

C’est quelque chose auquel j’ai toujours pensé. J’admire beaucoup la reine d’Angleterre, parce que dans notre société actuelle c’est rare les modèles qui vont privilégier leur fonction à leur bonheur propre. Tout le monde est égoïste et fait les choses pour soi avant tout… Mais la politique, c’est pas pour tout le monde. Et notre mission à Brigitte et moi n’est pas en politique. On fera plus de bien à notre façon, ça va être le travail d’une vie. 

Comment tu vois l’avenir de l’entreprise Ricardo, avec la crise des médias?

On a perdu à peu près 45% de nos revenus médias en deux ans, à cause des GAFA. Jamais j’ai reçu autant de prix, mais jamais ça a été aussi difficile, jamais on a été autant en péril. Si y’avait pas les sauces Ricardo dans les IGA, ça serait déjà ferméOn doit donc diversifier nos sources de revenus car on ne peut plus dépendre juste des médias. En ce moment, on est 50% média et 50% commercial (restaurants, accessoires de cuisine, produits alimentaires…), mais éventuellement le média va représenter 10% – et faut pas que ce soit plus, car je ne vois pas d’autres solutions à court terme.

Tu avais des projets pour la France… Ça en est où?

On a environ 800 000 Français sur notre site par mois, et ça augmente tout le temps. Au Québec, ça peut pas augmenter – tous ceux qui ont envie de cuisiner y sont déjà. La réalité est que notre marché ne peut grandir qu’à l’extérieur du Québec, au Canada anglais et en Europe francophone. Les États-Unis, j’y mets pas beaucoup d’efforts ; je suis plus français qu’américain. 

Mais la France, c’est un peu sur la glace. Toutes les propositions que j’avais impliquaient un déménagement là-bas avec ma famille, et ça me tentait pas. La France, je l’ai en fantasme : on a une vie française avec nos amis au Cap Ferret. Nous autres, Les Petits mouchoirs, c’est tous les étés. On on rit, on braille… Moi, m’engueuler solide, j’ai pas de problème avec ça. C’est pour ça que j’aime les Français! Mais quand c’est le temps de travailler, ça se passe ailleurs… 

Crédit : Audet Photo