Avec Tour de tables, j’ai enfin trouvé mon festival culinaire
Vous ne pensez pas que le mot « festival » est un peu galvaudé au Québec? Dans le domaine de l’alimentation, que j’ai l’honneur et le plaisir de couvrir, les festivals se multiplient comme les condos dans Griffintown. Il y a les vieux de la vieille, à l’instar de la Poutine Week, mais chaque année la liste s’allonge avec de nouveaux concepts en tout genre.
Résumons ce qui se passe en général dans ces festivals : un produit central, une dizaine ou plus de restos participants, un marketing agressif, des prix bas MAIS une qualité qui prend souvent le même adjectif. Sans oublier le plus étonnant dans le festival : le nom incongru (mon préf’ : le Boochfest, qui célèbre… le kombucha). Pourquoi, au pays de la Loi 101, la plupart de ces festivals s’entêtent-ils à se trouver des noms dans la langue de Shakespeare, le plus souvent archi-ridicules? J’essaie de percer le mystère. Ces « fest » en anglais évoquent peut-être la musique, le cool, le plaisir ; en entendant le nom du festival Lobster Clam Jam, on s’imagine un peu en train de danser sur de la house sous le soleil, un homard dans chaque main.
Le Larousse définit un festival comme un « ensemble de manifestations artistiques […] données généralement de façon périodique dans un lieu donné, et à un certain moment de l’année ». À Montréal, les festivals, c’est TOUTE l’année. Aux huîtres succède la poutine succède le cocktail succède le tartare… Il y a quelques années encore, un festival culinaire faisait un peu culpabiliser ceux qui n’avaient pas eu le temps d’en profiter ; aujourd’hui, on ne fait même plus attention à la nouvelle Semaine du Machin. D’ailleurs, c’est plutôt les rares périodes de l’année exemptes de festival qui sont exceptionnelles, et on se presse pour aller au resto y vivre son expérience originelle sans se faire proposer un plat spécial avec un ingrédient quelconque revisité d’une étrange façon, entre deux pancartes qui nous clament le mot-dièse de la semaine.
Quand ils ne célèbrent pas le phoque ou les Caraïbes (deux autres thèmes de notre gourmande métropole), certains festivals ont pour objectif tout à fait honorable d’attirer de la clientèle dans des périodes plus creuses de l’année, notamment en hiver. Les Montréalais sont alors tirés de leur cuisine douillette à coups de mots-clic pour aller au resto. Les prix sont cassés, et on se dit alors que c’est l’occasion ou jamais d’aller tester cet établissement qui nous fait habituellement de l’œil à l’estomac, mais pas trop au portefeuille. Concept d’autant plus honorable.
Mais là où ça se gâte, c’est qu’on a rarement droit à la vraie expérience de ce resto pendant les festivals. D’abord, il arrive que la soirée soit découpée en différents services horaires pour accueillir plus de monde, même si l’établissement ne pratique pas ça d’habitude. On se retrouve dehors au bout de deux heures alors qu’on aurait bien pris notre temps. En outre, les restos ont tendance à s’adapter aux prix unifiés imposés à tous les établissements participants, inférieurs à leurs tarifs ; ils baissent donc la qualité et optent pour des ingrédients à moindre prix par rapport aux menus habituels, histoire de rentrer un peu dans leurs chiffres. Et on les comprend. Mais pour le client, difficile d’avoir une vision représentative d’un établissement dans ce cadre…
Bref, tout ça pour vous donner un aperçu de mon état d’esprit quand on m’a parlé d’un nouveau festival culinaire débarquant à Montréal : Tour de tables (on aurait pu le baptiser Restos TourFest, pour sonner plus comme une tournée de chanteuse à la mode). Mais après étude de cet énième concept, il s’avère qu’on n’y retrouve pas les écueils habituels. D’abord, il n’a pas été pensé dans une agence de marketing, mais par le chef-proprio de l’Ikanos, Constant Mentzas, qui a ensuite proposé l’idée à quelques confrères de cuisine. Le festival rassemble des tables haut-de-gamme, qu’on voit peu ou pas dans événements – Chasse-Galerie, Miel, Pastaga, Ikanos, Cœur de Loup et La Chronique -, qui offrent chacune un menu 5 services à 65 ou 75$, selon l’établissement.
Pas d’ingrédient star ou de plat spécial : on y va pour découvrir un resto, tout simplement, dans son fonctionnement habituel, avec sa cuisine de tous les jours et ses standards de qualité – et sans pamphlet indiquant le mot-dièse de la semaine. Accessoirement, on aide aussi ces restaurateurs à passer l’hiver. Bref, c’est comme une jolie carte de visite pour ces adresses qu’on ne connaît souvent que de nom.
Et puis on prend le temps : Tour de tables s’étale sur deux semaines, histoire de faire une visite de plus d’une table si on le souhaite. L’occasion d’aller découvrir ces restos qu’on connaît de réputation mais qu’on repousse toujours un peu dans la liste des « à faire » ; la faute à la course perpétuelle à la nouvelle adresse que pratiquent beaucoup de Montréalais. Et si on se posait un peu?
C’est jusqu’au 9 février. Amis festivaliers, pas de panique : le prochain prend le relais à la fin du mois.