Survivre à la quarantaine quand c'est déjà difficile pour les restos
Restos / Bars

Survivre à la quarantaine quand c’est déjà difficile pour les restos

Quand on est propriétaire de resto, passer l’année est déjà tout un défi. Alors comment survivre en période de pandémie quand tout le monde évite de sortir?

Le monde de la restauration n’est pas épargné par les conséquences de la pandémie de coronavirus. À l’image de nombreux rassemblements culturels qui ont annulé leurs représentations, les Lauriers de la gastronomie et le festival Québec Exquis ont reporté leurs conférences de presse de lancement; les comités organisateurs se consultent et prendront une décision plus tard quant à la tenue de leur événement. Les salons des vins le Salon de Quilles et le Printemps DézIPpé sont quant à eux reportés à date ultérieure. 

Du côté des restaurants, l’inquiétude est de mise. Au Bier Markt par exemple, tous les groupes ont annulé leurs réservations, et autour de la Place des Arts, où les spectacles sont reportés, plusieurs restos ont pris la décision de fermer le soir. Au bar Jack Rouge, sur le Plateau Mont-Royal, on ne sait pas encore de quoi sera faite la soirée: «On va le voir dans quelques heures… Pour le moment y’a pas eu d’annulation, indique le chef, Jean-Philippe Saint-Denis. On a demandé des confirmations aux clients. Mais à Montréal les gens qui ne viennent pas ont souvent tendance à ne pas annuler leur réservation…»

Au restaurant La Belle Histoire, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson dans les Laurentides, l’inquiétude est de mise. Le groupe privé de 35 personnes qui avait réservé pour jeudi prochain a annulé hier – une réservation qui représentait environ 3 500$ de ventes -, idem pour le lancement de livre avec 60 personnes prévu dimanche. «La moitié de mes tables de ce soir et demain ont annulé, ajoute Sophie Allaire, sommelière et copropriétaire. J’ai du couper des employés. J’ai pensé les faire venir pour faire du ménage ou organiser la verrerie, c’est toujours mieux que rien… Mais mon staff est payé principalement au pourboire.»

4 serveurs au lieu de 18 

La gestion du personnel est un vrai défi: en restauration, pas de télétravail possible dans un secteur d’emploi qui fonctionne avec le public. Au moins, une mesure gouvernementale a enlevé la semaine de carence pour le chômage. «Mais combien de temps ça va durer? Quel sera l’impact à long terme? Nous ça fait juste sept mois qu’on est ouverts, on est en démarrage. C’est très stressant comme situation», confie Sophie. Elle et son conjoint et associé cherchaient un cuisinier depuis un moment; mais maintenant, après une entrevue et un CV reçu, le couple se demande si c’est vraiment le bon moment d’embaucher quelqu’un à temps plein… 

Même réflexion au Jack Rouge, dont un des cuisiniers a démissionné la semaine dernière. «Finalement, mon patron a décidé d’attendre une semaine ou deux avant d’en engager un. On attend de voir ce qui va se passer», explique Jean-Philippe. Au Rosélys, le restaurant du Reine Elisabeth, un serveur indique être désormais passé à un shift par semaine, tandis qu’un plan de réduction des heures et du personnel est activé au bistro Les Soeurs grises. Vendredi soir, à la suite de l’annulation du match de hockey, ils étaient 4 serveurs au lieu de 18 habituellement au Bâton Rouge sur la rue de la Montagne. Des réductions drastiques, dans un secteur déjà bien précaire. D’autres restos ont carrément décidé de fermer leurs portes pour durée indéterminée, comme le Nina à Québec.

À la gestion du personnel en cette situation exceptionnelle s’ajoute la gestion des stocks. Au restaurant la Belle Histoire, il va en effet falloir vider les inventaires de vin et de nourriture pour limiter les pertes. «J’ai été obligée d’annuler un rendez-vous de dégustation de vins que j’avais pris aujourd’hui avec une agence d’importation privée», indique la sommelière. Quant à la nourriture, le restaurant travaille sur une offre de plats à emporter, pour faire rentrer des revenus. C’est le cas de plusieurs restaurants montréalais, comme le Pastaga, le Robin des bois et le Park, entre autres, qui ont annoncé des options de plats pour emporter. 

En région, compter sur la solidarité

Pour ce restaurant de village au coeur des Laurentides, la situation est différente de celles des établissements dans les grandes villes. Avec le peu d’offre en restauration dans le coin, les locaux soutiennent la Belle Histoire, désirant garder l’adresse dans leur village. «On a des clients qui viennent nous dire “vous avez oublié un verre de vin sur notre facture”; ça, à Montréal, ça n’arrive pas, compare Sophie. Il va y avoir peut-être une solidarité au niveau de la communauté qui va nous aider à tenir. Et les gens qui ont une maison secondaire ou un chalet dans les Laurentides, s’ils ont la chance de pouvoir quitter la ville, vont venir chez nous. Ca, c’est mon plan de match optimiste…»

Dans la malchance, la pandémie a au moins eu la bonne idée d’arriver dans une période plus creuse pour la restauration dans le Nord, entre le moment où il n’y a plus assez de neige pour faire du ski et que les températures ne sont pas encore assez douces pour attirer les randonneurs. L’arrivée du virus pendant la période des fêtes ou en plein mois de juillet, saisons où les restaurateurs font l’essentiel de leur chiffre d’affaires annuel, aurait été un coup encore plus dur pour le secteur.

«Si le gouvernement décide de fermer les lieux publics comme en Italie, plein de petites entreprises n’y survivront pas, c’est sûr, nuance Jean-Sébastien. En mars, d’habitude, c’est là que ça reprend en ville. Depuis janvier, c’est pas une bonne année à date, et là les restaurateurs ont à peine la tête sortie de l’eau et le business recommence à peine qu’on risque de se faire recaler pour deux, trois mois encore… Mes patrons ont une certaine inquiétude. On sait pas combien de temps la folie va durer.»

Sophie attend de son côté que l’Association des Restaurateurs du Québec (ARQ) s’exprime sur le sujet, notamment pour savoir si des dédommagements seront prévus face aux pertes financières. Les conséquences de la pandémie vont toucher la restauration et donc indirectement l’industrie au sens large, des agences de vins aux petits producteurs qui avaient prévu leur livraisons et voient les commandes s’annuler. 

«Comme on est une industrie de luxe, on va souffrir de cette crise plus que d’autres secteurs, conclut la sommelière. Aller au restauration implique un déplacement dans un endroit où il y a du monde, et les gens ne vont maintenant sortir que pour leurs besoins essentiels. Ils vont annuler tout ce qui est culture; restauration, etc. On n’est pas une industrie facilement rentable, toujours un peu sur la corde raide… C’est sûr qu’une crise comme ça va plus nous atteindre que d’autres.»