La nouvelle recette des restos
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La nouvelle recette des restos

Faudra-t-il faire le deuil des sorties au resto? Il est encore tôt pour le savoir, mais qu’à cela ne tienne, des restaurateurs travaillent à réinventer la formule.

Cet article a d’abord été publié sur le site de L’actualité.

Martin Juneau, propriétaire de quatre restaurants à Montréal, dont le Pastaga du boulevard Saint-Laurent, est convaincu que la restauration telle qu’on la connaissait avant le confinement ne reviendra pas. Lui-même se concentre désormais sur les plats à emporter, offerts en journée seulement. Ce qui n’est pas sans lui déplaire : il passera ainsi plus de temps avec ses jeunes enfants. Finies les longues soirées au resto !

Depuis le début du confinement, le chef de 42 ans offre un menu « SOUVID-19 » de plats à emporter au Pastaga, réputé pour sa bonne bouffe et ses vins nature. Le macaroni au fromage et la lasagne y sont à un dollar à l’achat d’une bouteille de son agence Volet Importation. Au fil des semaines, il a ajouté plusieurs plats au menu, comme un risotto aux champignons, un saumon mariné aux herbes et une salade de rattes. Un concept qui marche assez bien, d’autant que Martin Juneau a été l’un des premiers à transformer son offre pour s’adapter à la situation.

Le chef-propriétaire ne croit pas qu’il rouvrira un jour ses salles à manger. «C’est bien beau d’avoir une salle à 50 % de la capacité, mais le loyer et les factures restent à 100 %…» Il lui faudrait alors agrandir son espace de comptoir au Pastaga. «Je n’ai plus besoin d’une grande salle à manger, mais il me faudrait un grand espace de comptoir de vente.» 

Dans le contexte de la pandémie, les restaurants — secteur qui représentait 14 milliards de dollars de ventes en 2019 — ont été considérés comme un service essentiel, et un peu plus de 20% des établissements du Québec ont décidé de maintenir l’offre au comptoir et la livraison. Les propriétaires ignorent toujours quand ils pourront rouvrir leurs salles à manger, le gouvernement n’ayant encore rien annoncé à ce sujet, outre que cette relance se fera avec des contraintes : n’occuper que la moitié des tables, restreindre les heures d’ouverture, refuser les groupes, etc.

«Considérer les restaurants comme un service essentiel a permis à bon nombre d’entre eux d’améliorer leur processus et de changer leur modèle d’affaires, et ils seront plus prêts à repartir», croit David Lefebvre, responsable du Québec pour Restaurants Canada.

Des restaurateurs ont redoublé d’inventivité. Certains ont modifié leur système de paiement par carte afin de permettre de payer à travers une vitre, sans contact direct. Pour préparer une commande à emporter, les cuisiniers se succèdent à un poste sans jamais se trouver à proximité les uns des autres. «C’est impressionnant quand on pense qu’il peut y avoir jusqu’à quatre personnes travaillant sur la même assiette, et qu’elles arrivent à trouver des processus de distanciation et à isoler des unités de production, commente David Lefebvre. Il va rester des innovations dans l’organisation du travail.»

L’innovation n’est pas qu’en cuisine. Elle est aussi technologique, comme à Libro, qui compte parmi ses clients des restos réputés tels que le Laurie Raphaël et Battuto, à Québec. Libro, qui offre ses services de réservation en ligne depuis 2015, a conçu un système permettant de bloquer une table sur deux dans ses restaurants clients, en plus d’adapter son offre de services à la commande pour emporter en ligne. «Le Laurie Raphaël a commencé à travailler avec nous pour ses plats à emporter: en quatre jours, il a fait 668 commandes, assure Jean-Sébastien Pothier, cofondateur de Libro. Le Battuto a mis en ligne ses plats à 12 h et à 12 h 02, il avait comblé quatre jours de commandes. Et pas besoin de mettre du personnel au téléphone!»

À l’Association Restauration Québec (ARQ), qui regroupe 5 600 restaurateurs de toute la province, le vice-président, François Meunier, est inquiet pour l’avenir des salles. «Qui va aller dans un restaurant où le serveur porte un masque, où la personne qui vous accompagne est à six pieds de vous, où des plaques de plexiglas séparent les tables comme dans un aquarium? On verra à quel point la santé publique sera stricte dans sa manière de voir les choses, mais quand on regarde les secteurs qui viennent de rouvrir, la règle de distanciation est très sévère…»

Le 23 avril dernier, l’ARQ présentait 28 recommandations au gouvernement du Québec, notamment l’assouplissement réglementaire pour permettre l’innovation dans le secteur et pour faire revenir les consommateurs dans les établissements. C’est sur ce dernier point que se concentre l’inquiétude des acteurs du milieu: rouvrir les restaurants est une chose, retrouver la clientèle en est une autre. Et pas seulement parce que les clients risquent d’avoir peu envie de se retrouver dans des lieux fermés en présence d’autres personnes; leur pouvoir d’achat est diminué. Devant la difficulté, tous les restaurants sont égaux: ceux des régions, qui dépendent du tourisme et qui voient que la saison estivale ne sera pas au rendez-vous, comme ceux des centres-villes, dont la clientèle vient de tours de bureaux désormais désertées.

L’ARQ affirme «travailler fort pour aller chercher le maximum» auprès du gouvernement québécois afin d’aider l’industrie de la restauration. «Le tourisme était l’un des plus gros business à l’international, alors oui, le gouvernement va nous soutenir, croit Normand Laprise, le chef du célèbre Toqué! Montréal était reconnue comme une ville gastronomique partout dans le monde, et j’aimerais vraiment qu’on essaie de préserver ce qu’on a passé des années à construire…»

Le chef Laprise, qui a mis sur pause ses cinq restaurants, souhaite qu’on prenne le temps de bien se préparer. «Y a une chose que je ne veux pas: avoir à fermer de nouveau…»