BloguesRichard Martineau

Il n’y a rien de drôle à voir un bateau couler

La semaine dernière, plusieurs artistes ont salué la mémoire de Serge Reggiani, mort à 84 ans. Parmi ceux-ci, Jean-Louis Foulquier, le père des Francofolies de LaRochelle. «C'était un homme de bourre, qui prenait la vie par tous les bouts, qui la croquait avec toutes ses dents et qui la buvait à plein gosier», a-t-il déclaré à La Presse.
Foulquier fait bien sûr référence à l'alcoolisme légendaire de Reggiani. Si le chanteur/comédien picolait autant, c'est qu'il «était un homme de bourre» et qu'il «buvait la vie à plein gosier»…
De tous les clichés et de tous les lieux communs qui parsèment notre langage, celui-là est l'un de mes préférés: les alcoolos boivent car ils aiment la vie.
C'est drôle, mais j'ai toujours cru le contraire. Les alcoolos boivent car ils veulent échapper à la vie. Ils ne boivent pas parce qu'ils sont heureux, mais parce qu'ils sont profondément malheureux. Ils cherchent à fuir la réalité, à faire taire leurs souffrances…
Reggiani était un homme rongé par le désespoir. S'il buvait comme un trou, ce n'est pas parce qu'il voulait «croquer dans la vie à belles dents», comme on se plaît à le dire, mais parce qu'il voulait oublier le suicide de son fils. Parce qu'il en avait marre de souffrir du matin au soir et du soir au matin.
Lâchez-moi avec votre mythe de l'alcoolo heureux! Vous les trouvez heureux, vous, les clochards qui pissent dans leur culotte coin Notre-Dame et Saint-Laurent? Vous trouvez qu'ils ont l'air de s'amuser? Vous trouvez qu'ils mordent dans la vie à belles dents?
Reggiani buvait tellement qu'il n'arrivait plus à se tenir debout. Il était dans un tel état qu'on devait parfois annuler ses spectacles. Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle et de festif là-dedans.
Un homme qui boit au point de détruire sa vie, c'est un homme qui souffre. Pas un homme qui fête.