Franky Baby!

Frank Cotroni est mort. Cette nouvelle nous a valu de délicieuses perles dans les journaux. Genre: «C'était un homme sympathique malgré tout», «Il était rigolo», «Un bon vivant», «Un homme attachant et gentil avec ses enfants»…
Hey, les boys: c'était un gangster, un bandit, le chef de la mafia! Il a tué des gens, commandé des assassinats, bousillé la vie de nombreuses personnes! On s'en fout, s'il était rigolo et gentil avec ses enfants! Hitler aussi aurait été gentil avec ses enfants s'il en avait eu. Il leur aurait acheté des bonbons et un chien qui fait wouf-wouf. Ça dit quoi, ça?
Je suis sûr que Frank Cotroni était un homme attachant dans la vie de tous les jours. Pensez-vous qu'il passait son temps à égorger des gens et à tirer dans le tas? Il était comme vous et moi, il racontait des blagues, aimait le bon vin et faisait un excellent spaghetti.
Et puis? Ça n'empêche pas qu'il gagnait sa vie à trucider du monde!
Dieu qu'on est bonnasse avec les criminels. On les traite comme des vedettes, on les appelle même par leur petit nom: Bottine, Mom, Fish… Ils font partie de notre folklore. Les Hell's, la mafia? Bof, ce sont des entreprises comme les autres. S'il n'y avait pas de demande, il n'y aurait pas d'offre. Ils ne font que distribuer un produit que le bon peuple réclame, c'est tout.
Pour ce qui est de la violence, on pense comme Woody Allen: «Les membres de la mafia sont comme les intellectuels, ils s'entretuent…»
Tous les villages ont leur gang de motards, tous les bars de danseuses appartiennent au crime organisé. On le sait, on s'en fout. On est même un petit peu excité quand on croise un motard criminalisé lors d'un événement public: «Hey, regarde là-bas, un Hell's!»
Quand Maurice Boucher s'est pointé à un gala de boxe après sa sortie de prison, il a été accueilli par un standing ovation! Les gens se sont levés de leur siège et ont applaudi ce salaud qui avait commandé le meurtre crapuleux d'un gardien de prison!
Hey, qu'est-ce qui se passe? Avons-nous tant besoin de héros? Les Hell's sont-ils nos nouveaux felquistes, nos nouveaux Robin des Bois, nos nouveaux Che Guevara?
Selon moi, il y a un lien entre cette réalité et la situation que j'ai décrit dans mes derniers textes. La fascination que nous éprouvons pour les criminels, c'est ni plus ni moins que le culte de l'ignorance à la puissance 10, la religion de la bêtise et de l'arrogance… Un Hell's, c'est un con qui a réussi, un analphabète qui impose le respect. Un «tawouin» qui en mène large, et qui se prend pour un notable.
C'est le médecin des imbéciles, l'avocat des ignares.
Il mange dans les meilleurs restos, fume de gros cigares et quand il se marie, Ginette Reno elle-même va chanter à l'église.
Vous vous souvenez du gros tata qui bavait tout le monde et qui n'écoutait jamais en classe? Eh bien maintenant, le gros tata est dans les Hell's. Il gagne dix fois plus d'argent que vous et se lève à l'heure qu'il veut.
C'est qui, le dindon de la farce?