Des réponses à mon deuxième jeu de la morale (voir mon blogue du 7 septembre). Rappelons que je demandais s'il était moral pour les flics de briser la loi pour attraper des gens qui brisent la loi.
Guillaume Mauffette:
«Ce jeu de la morale est identique au précédent. Vous nous demandez si les bons peuvent jouer la «game» des méchants pour les battre.
Est-ce que le cavalier blanc devrait se salir afin de coincer le cavalier noir? Je crois qu'on n'a pas le choix de jouer avec les nuances du bien car nous vivons dans un monde où les bons sont parfois un peu sales et les méchants, un peu propres. Il faut accepter le fait que le bien n'est pas toujours clair et net. Nous ne pouvons pas refuser d'utiliser les moyens nécessaires pour protéger le bien commun.»
Eric Forgues:
«Votre jeu offre deux choix, soit le respect ou non des lois afin de maintenir l`ordre. La société n`a malheureusement pas le loisir de choisir, car n`ayant pas les moyens de se payer une vraie justice, elle doit se contenter d`investir dans l`illusion de cette dernière.
Les coûts engendrés par un combat loyal de la société, qui respecterait scrupuleusement les lois, serait éléphantesques. Plus d`intervenants, plus de prisons, des peines d`emprisonnement plus longues… Des dépenses colossales qui affecteraient inévitablement d`autres secteurs de la société et qui se traduiraient par une baisse générale de notre niveau de vie.
Il faut donc un compromis, un genre d`équilibre entre les forces qui s`affrontent. À ce jeu, l`État se doit donc de tricher légèrement afin de donner à l`ensemble des ses citoyens l`illusion que le gouvernement est au-dessus de ses affaires et que personne n`échappe à la justice. Grâce à ces quelques écarts de conduite, on attrape un gros poisson de temps à autre, donnant aux citoyens l`impression que la justice existe bel et bien pour tous et qu`elle ne s`applique pas seulement aux criminels insignifiants.
La fin justifie donc les moyens, puisque l`ordre publique passe par l`illusion d`un État juste et fort. À mon humble avis, il ne saurait en être autrement, la société n`étant pas prête à accepter la détérioration de son niveau de vie qui découlerait inévitablement de la mise en place d`un système basé à cent pour cent sur la morale.
Quel drôle de paradoxe! L`État forcé d`agir de façon immorale, afin de maintenir un système dont l`une des pierres angulaires est la morale.»
Dominique Pelletier:
«Je crois qu'il faut voir à long terme. D'accord, Pistone brise la loi en infiltrant ce gang de mafieux; il se rend complice d'innombrables crimes crapuleux. Mais supposons qu'au lieu d'infiltrer la mafia pendant six années, Pistone ait passé ce temps à chercher des preuves d'une autre façon, plus politiquement correcte. Que fait la mafia pendant toutes ces années? La même chose qu'elle a faite pendant les années de Pistone! Qu'il soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la bande, cela ne change rien aux crimes commis. À mon avis, il est préférable de choisir la méthode la plus efficace, celle qui permettra au FBI de parvenir à ses fins le plus rapidement possible. À long terme, cela réduit le nombre de crimes commis!»
Yves Bolduc:
«Le problème que vous soulevez cette semaine est beaucoup moins difficile que celui de la semaine dernière. Pourquoi? Parce qu'ici, notre agent fédéral fait son métier en respectant les règles du jeu qu'on lui a imposées.
Son travail c'est d'infiltrer des groupes criminels afin d'accumuler des preuves qui pourront mener à l'arrestation des responsables.
C'est une façon de faire qui existe depuis toujours et qui se justifie par la réduction des méfaits. Pour lutter efficacement contre le crime organisé qui fait des ravages énormes dans nos sociétés, peu de moyens sont aussi efficaces que l'infiltration.
Ce qui semble ici vous poser un problème c'est que la taupe doive fermer les yeux sur des crimes dont il est témoin ou y participer à l'occasion. Mais ces crimes, ce n'est pas lui qui les commande! S'il ne posait pas ces gestes qui lui sont ordonnés, il est clair qu'il ne pourrait pas faire partie du groupe. Il ne servirait donc à rien.
Par contre, s'il obéit aux ordres, il est clair qu'il s'expose à commettre des crimes. C'est entendu et convenu. Seule cette façon peut arriver à ébranler sérieusement cette organisation et faire condamner de très grands criminels.
Pour ce qui est des crimes commis par l'agent double, ils doivent être ici imputés à l'organisation et non à l'individu. En effet, si notre agent avait refusé de les commettre, il y aurait certainement eu un autre membre du groupe qui aurait procédé à sa place. Le crime aurait tout de même eu lieu mais la justice n'aurait pas pu profiter des informations qui pouvaient mener à l'arrestation de ceux qui les ont commandés et en ont profité.»
Christine Marchand:
«Oui, le jeu en vaut la chandelle car quand vient le moment de combattre le crime, il faut bien que quelqu'un se salisse les mains afin d'arriver à l'objectif poursuivi. Le Code criminel permet en ce moment aux policiers de commettre certaines infractions dans l'optique d'épingler les grosses têtes du crime qu'on ne pourrait pas coffrer autrement. Ces infractions permises sont circonscrites de façon à ce qu'un agent ne puisse pas commettre des crimes de haute importance – comme un meutre, par exemple -, tout en lui permettant d'infiltrer le gang qu'il tente de faire épingler. Sinon, le but même de l'infiltration deviendrait vain en ce sens qu'on ferait arrêter des petits revendeurs de drogue, des voleurs de voiture, etc, sans s'attaquer aux têtes dirigeantes. C'est comme dans la publicité du pesticide Raid: il ne suffit pas de tuer les quelques fourmis qu'on voit se promener dans notre maison, il faut aller directement empoisonner la Reine si l'on veut se débarrasser pour de bon des fourmis! Eh oui, ça implique d'être immoral et de se placer au-dessus des lois jusqu'à ce que l'on arrive à nos fins.»
Roger T. Drolet:
«Je ne suis pas criminaliste. Il y a longtemps, j'ai étudié la philo et je me targue d'être un humaniste. Depuis un certain temps, cette question me préoccupe et je suis encore quelque peu ambivalent. Toutefois, il m'apparaît que la société, qui ne réussit pas à vaincre le crime organisé, doit se doter de moyens efficaces pour réprimer ses auteurs et freiner sa progression. Quels sont ces moyens? La répression pure et simple? Elle ne semble pas dissuader grand monde dans les hautes sphères des hors la loi. Le respect des "codes sociaux" par la force policière n'est visiblement pas suffisant pour contrer la criminalité. Force est de constater qu'il faut jouer le jeu de l'adversaire pour le vaincre.
Par ailleurs, transgresser les codes sociaux sanctionnés par les législatures des États afin de coffrer les criminels ne doit en aucun cas créer une brèche dans le pouvoir judiciaire puisque cela pourrait remettre en jeu la paix sociale. Je pense néanmoins que, dans certains cas, l'usage de pratiques défendues par les lois sont nécessaires à la bonne marche des enquêtes. Mais afin d'éviter les malencontreux dérapages pouvant résulter de ces "écarts", il serait utile d'encadrer les pratiques tolérables et d'énoncer ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas. Une fois la ligne tracée, tous sauraient à quoi s'en tenir.»