BloguesRichard Martineau

Le nouvel esclavage

Récemment, un de mes amis s'est trouvé un emploi dans une entreprise prestigieuse spécialisée dans le multimédia. "Tu devrais voir les bureaux, m'a-t-il dit, le sourire fendu jusqu'aux oreilles. Ils sont extraordinaires! Fauteuils ergonomiques, machines à espresso, cafétéria toute vitrée, plats remplis de fruits frais… Le grand luxe! Et afin que je garde la forme, on m'a abonné à un centre sportif quatre étoiles. J'ai l'impression d'avoir gagné le gros lot."

Mon ami n'est pas le seul dans son cas. De plus en plus de sociétés chouchoutent leurs employés afin de les garder. Aux États-Unis, le phénomène a pris une ampleur considérable. Pour paraphraser à l'envers John Kennedy, l'employé ne se demande plus ce qu'il peut faire pour son entreprise, mais plutôt ce que celle-ci peut faire pour lui.

Prenez BMC Software, par exemple, une firme de haute technologie de Houston. Un préposé lave les autos des employés pendant qu'ils travaillent, le coin cuisine est agrémenté d'une télé géante et de canapés moelleux, un gymnase doté des dernières machines à la mode vous permet de lâcher votre fou (et de renforcer vos abdominaux) entre deux réunions. Il y a quelque temps, le magazine Fortune consacrait un long reportage aux 100 entreprises américaines qui soignent le mieux leur personnel. Le palmarès ferait saliver les plus blasés des travailleurs. Gardiennes d'enfants, commis qui vont porter vos vêtements chez le nettoyeur, chefs qui vous préparent de petits goûters, secrétaires qui achètent vos billets de théâtre (ou des fleurs pour votre vieille mère), médecins disponibles 24 heures sur 24, conseillers spirituels, profs d'échecs, groupes de rencontre, piscines, saunas, bars: l'employé moderne est traité aux petits oignons.

Le prix à payer pour toutes ces gâteries? Donner son temps – tout son temps. Les "chanceux" qui travaillent pour ces entreprises doivent se taper des journées de 12 heures au minimum. La garderie ferme à 17 h 30? Pas de problème, quelqu'un ira chercher votre enfant. Comme ça, vous pourrez rester rivé à votre ordinateur jusqu'à 22 h et terminer votre rapport, qui était pour hier.

Pour Dave Arnott, ce "meilleur des mondes" est un cauchemar climatisé. Professeur de gestion à Dallas, Arnott vient de publier un livre-choc dénonçant ces méthodes (Corporate Cults: The Insidious Lure of the All-Consuming Organization). "Si votre entreprise met des salles de gym luxueuses, des services de nettoyage et des machines à cappuccino à votre disposition, ce n'est pas par pur altruisme, écrit-il. C'est pour que vous lui consacriez de plus en plus de temps, aux dépens de votre vie privée, de votre famille et de votre collectivité. En fait, les employeurs utilisent les méthodes qui ont fait le succès des sectes. Ils vous éloignent de vos proches, prennent votre vie en charge et exigent une dévotion complète de votre part. En échange, ils vous procurent le sentiment d'avoir un but dans la vie."

À Kansas City, les patrons du bureau d'architectes Gould, Evans, Goddman et associés ont monté dans un coin de leur bureau trois tentes munies de sacs de couchage, d'oreillers et de réveille-matin. Les travailleurs qui sont au bout du rouleau peuvent les utiliser afin de recharger leurs batteries.

Une idée, comme ça: pourquoi ne pas acheter de petites maisons mobiles aux employés? Ils pourraient ainsi vivre dans le stationnement, à portée de voix de leur patron…