BloguesRichard Martineau

Bonne année en chanson

"C'est le début d'un temps nouveau

La Terre est à l'année zéro

La moitié des gens n'ont pas trente ans

Les femmes font l'amour librement

Les hommes ne travaillent presque plus

Le bonheur est la seule vertu

C'est le début d'un temps nouveau

Nous voilà devenus des oiseaux

Dans les cumulus du temps beau

Ceux du ciel et ceux du cerveau

Les couleurs se mêlent sur la peau

C'est le début d'un temps nouveau…"

Voilà ce que fredonnaient les Québécois en 1970. Un superbe texte de Stéphane Venne, optimiste, naïf, flottant sur le petit nuage rose d'Expo 67. Il y a trente-cinq ans, l'avenir était rempli de promesses, et l'an 2000 ouvrait ni plus ni moins que la porte du paradis.

Aujourd'hui, changement de décor. Le ciel s'est couvert, les lendemains grincent et ne chantent plus. Floué par les grands systèmes qui ont déraillé, l'homme trouve refuge dans son lit. Comme le dit Daniel Bélanger:

"Sentir ta main sur ma joue

Ne pas la perdre comme on perd tout

Les temps sont fous

Aide-moi

Pour que demain s'empare de nous

Souffle, souffle dans mon cou

Les temps sont fous

Aide-moi."

Portes fermées, fenêtres closes, sous-sols transformés en temples du divertissement, écriture miniature, travail sur soi, sexe tantrique: l'ère du Verseau est devenue l'ère du Berceau.

La société des loisirs coûte cher, et, pour se la payer, il faut mettre les bouchées doubles et travailler trois fois plus qu'avant. La politique? Bof, tous les mêmes. À quoi bon…

"Everybody knows that the dice are loaded

Everybody rolls with their fingers crossed

Everybody knows the war is over

Everybody knows the good guys lost

Everybody knows the fight was fixed

The poor stay poor, the rich get rich

That's how it goes

Everybody knows." (Leonard Cohen)

À la fin du vingtième siècle, le citoyen est disparu pour céder la place au consommateur. Consommateur de soins de santé, payeur de taxes qui en veut pour son argent, client lésé qui appelle J. E. ou La Facture pour se plaindre. Politique du je, me, moi. On ne veut plus changer le monde: juste être remboursé.

L'électeur contemporain a troqué son pouvoir de décision contre un pouvoir d'achat. Le seul isoloir qu'il fréquente régulièrement est la cabine d'essayage de chez Gap. Jeans 201, 301, 401, 501, DVD, VHS, Beta, laser: le consommateur roi n'a jamais eu autant de choix. Ironiquement, les gens ne se sont jamais autant ressemblés.

"Tout le monde a des idées empruntées à la télé

Tout le monde a ses coutumes, chacun a son costume

Tout le monde est imposteur, chacun est son propre héros

Tout le monde a un poster de Marilyn Monroe." (Luc De LaRochellière)

Mais on ne peut pas toujours se cloîtrer. On a beau se terrer au coeur de la plus profonde forêt, le monde finit toujours par nous retrouver. C'est ce qui arrive en ce moment. Après des années d'auto-analyse, l'homme a décidé d'aller voir ailleurs.

"Quelqu'un m'a dit que tout autour

De mon nombril se trouve la vie

La vie des autres, la vie surtout

De ceux qui meurent faute de nous

Et moi j'étais sur moi alors

J'écoutais couler dans mes veines

Mes vaisseaux et mes anticorps

Depuis des mois, des années même

J'ai des yeux qui refusent de voir

Des mains qui frôlent sans toucher

Sortez-moi de moi." (Daniel Bélanger)

Ce qu'il a vu en ouvrant la porte? Des images de fin de siècle. Forêts rasées, urgences engorgées, corps dansant sous les lasers, vedettes se déshabillant à la télé, jeunes dormant sous les réverbères, magnats de la finance rigolant bras dessus bras dessous. Bref, la vie.

Dans le film The Crying Game, un terroriste irlandais tombait éperdument amoureux d'un travelo. Idéologue pur et dur qui avait passé sa vie à combattre le pouvoir, ce militant de l'IRA se retrouvait projeté au milieu d'un champ de bataille plus flou que tous ceux qu'il avait connus jusqu'alors: celui de l'identité sexuelle. En un coup de foudre, il glissait de la politique au privé, à l'image de son époque.

Aujourd'hui, on prend le chemin inverse: de l'intime, on retourne au collectif. Un peu partout, des citoyens fatigués de bosser comme hommes-sandwichs pour Levis, Nike et Tommy Hillfiger se regroupent et défendent leurs droits. Le mouvement prend de l'ampleur.

"They sentenced me to twenty years of boredom

For trying to change the system from within

I'm coming now, I'm coming to reward them

First, we take Manhattan, then we take Berlin

I don't like your fashion business, mister

I don't like these drugs thant keep you thin

I don't like what happened to my sister

First, we take Manhattan, then we take Berlin." (Leonard Cohen)

Terrorisme, inégalités galopantes, individualisme, cynisme… Vous trouvez le portrait de l'année qui s'écoule déprimant?

"Allez, hop, un peu de sincérité.

Le monde est à pleurer." (Jean Leloup)