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Vite, vite: réaction

Un lecteur, Philippe Thompson, m'a envoyé cette très belle citation de Milan Kundera, tirée de son livre La Lenteur (1995).

À savourer… lentement.

«Imprimer la forme à une durée, c'est l'exigence de la beauté, mais aussi celle de la mémoire. (…) Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli.

Évoquons une situation on ne peut plus banale: un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. À ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Par contre, quelqu'un qui essaie d'oublier un incident pénible qu'il vient de vivre accélère à son insu l'allure de sa marche comme s'il voulait vite s'éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui.

Dans la mathématique existentielle cette expérience prend la forme de deux équations: le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli. (…)

De cette équation on peut déduire divers corollaires, par exemple celui-ci: notre époque s'adonne au démon de la vitesse et c'est pour cette raison qu'elle s'oublie si facilement elle-même. Or je préfère inverser cette affirmation et dire: notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse; elle accélère le pas parce qu'elle veut nous faire comprendre qu'elle ne souhaite plus qu'on se souvienne d'elle; qu'elle se sent lasse d'elle-même; écoeurée d'elle-même; qu'elle veut souffler la petite flamme tremblante de la mémoire.»