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La mort en face

Je suis allé voir un superbe film, cette semaine, qui va sortir en salle vendredi: Willbur Wants To Kill Himself, une comédie noire réalisée par la cinéaste danoise Lone Scherfig (un membre du collectif Dogma, qui nous a donné Italian for Beginners).

L'histoire? La relation entre deux frères – un dépressif en bonne santé qui ne pense qu'à se tuer, et son frère aîné, un amoureux de la vie atteint d'un cancer terminal.

Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais depuis quelque temps (depuis les attaques du 11 septembre, en fait), de nombreux films traitent de la mort, du deuil. In the Bedroom, La Chambre du fils, Million Dollar Baby, Les Invasions barbares, Birth, Angels in America, Finding Neverland, The Guys, Son frère, The Sea Inside. Même Manon, le documentaire fait par mes deux potes, André Saint-Pierre (réalisateur) et Benoît Dutrizac (journaliste).

C'est comme si nous nous rendions compte que nous ne sommes plus invulnérables, indestructibles. Le film Ladder 49, avec John Travolta et Joaquin Phoenix, nous raconte les aventures d'un pompier sans peur et sans reproche. Habituellement, ce genre de superproduction se termine sur un happy end. Or, dans Ladder 49, le héros meurt. Il est prisonnier des flammes, et ne s'en sort pas. The end.

La mort est un paradoxe. Pour pouvoir vivre, nous devons complètement effacer l'éventualité de notre mort. Car si on meurt, à quoi bon? À quoi bon aimer, travailler, gravir les échelons, étudier, respecter la loi, cesser de fumer? À quoi bon tout ça, si on finira de toute façon par se retrouver six pieds sous terre? À quoi ça sert, comme l'écrivait Cioran?
Alors nous effaçons l'idée de notre mort, et nous faisons comme si nous étions immortels. La mort, c'est pour les autres, pas pour nous.

Or, c'est faux, bien sûr: la mort, c'est pour tout le monde. Comme le disait Jim Morrison, «No One Here Gets Out Alive», personne ne s'en sortira vivant. Nous allons tous y passer un jour ou l'autre.
(Il y a quelques années, le journaliste américain Charlie Rose a demandé à Dustin Hoffman ce qu'on faisait sur la terre. «We Are All Learning To Die», a répondu le comédien, les larmes aux yeux. Nous apprenons tous à mourir. Quelle phrase! Ça m'a hanté pendant des jours.)

Le cinéma est le divertissement par excellence. Mais depuis quelque temps, il nous force à regarder la réalité en face. Et cette réalité, la réalité entre TOUTES les réalités, c'est que nous allons tous mourir. L'amour ne nous sauvera pas, le respect des lois ne nous sauvera pas, nos enfants ne nous sauveront pas, l'exercice physique et les Omega 3 ne nous sauveront pas. Nous allons tous mourir. Sans exception.

Je ne sais pas trop pourquoi je vous raconte tout ça. Je n'ai aucune conclusion à proposer à cette réflexion. Mais c'est ce que je pensais à la sortie de la projection de Willbur Wants to Kill Himself.
Le deuil est de plus en plus présent dans nos vies. Et le cinéma traite de plus en plus de cette réalité.
J'imagine que c'est un signe de maturité.
Mais Dieu que c'est déprimant.
Dieu que la mort est injuste et cruelle et révoltante.