Un courriel long, mais intéressant, sur la grève à la SAQ, signé Thierry Blanchart.
"Mercredi soir, Téléjournal de 22 h. J'entends que Françoise David et Amir Kadir, les ghandis québécois, prennent fait et cause pour les hockeyeurs de l'industrie de la distribution; et font un sit-in devant la SAQ en signe de soutien aux employés les plus gâtés de leur secteur industriel.
J'hallucine! Devant mes yeux écarquillés se déroule une pantalonnade bon enfant qui suinte de démagogie syndicale.
Sur les conseils de mon épouse qui vient de se réveiller en sursaut, je me passe un peu d'eau sur le visage et je tente d'analyser froidement la situation.
Solution plausible: Françoise et Amir font la promo de leur nouveau parti politique. Après tout, c'est un endroit comme un autre pour faire son auto promotion. En plus, comme il n'y a pas de catastrophe naturelle pour être vu entouré de misère, on fait avec celle qu'on a.
C'est alors qu'une discussion moralisatrice s'engage avec Maurice, Français de son état, amateur de vin et coupable, par son attitude incivique, du malheur de ces pauvre piqueteurs.
Mon sang n'a fait qu'un tour: qu'on se fasse voir en passant la nuit avec les grévistes, c'est une chose, mais qu'on vienne donner des leçons de morale à des personnes qui n'embrassent pas la cause des enfants gâtés d'une profession, c'en est une autre!
Puisque vous avez ouvert le bal, laissez-moi vous faire quelques suggestions de sit-in moraux et citoyens.
Vous pouvez opter pour une cause dans le secteur de la distribution. Je retiendrai deux options.
La filière canadienne: pourquoi ne pas aller passer la nuit devant un magasin La Baie?
Les vendeuses y sont payées 8,22 $ de l'heure et les temps partiels n'ont pas de garantie d'horaire.
Ou la filière américaine: essayez donc devant un Wall-Mart. Les gens y sont payés une misère, n'ont aucune garantie d'emploi et, en plus, on les fait chanter le matin. Dans ce cas, vous aurez en plus les droits de l'homme de votre côté, car ça peut être considéré comme de la torture psychologique.
Vous pouvez essayer également le secteur de l'industrie textile où les conditions de travail ont encore des relents d'esclavagisme. Mais dans ce cas, il faudra aller vite car ces entreprises décollent les unes après les autres vers ces paradis où la main d'ouvre est abondante, bon marché et ne connaît pas de barrière d'âge.
Vous pourrez faire des veillées entières avec nos victimes de la mondialisation. Allez à Huntingdon, la ville vous attend. Faites attention, on peut s'asseoir dans la rue mais pas dessiner sur les murs! Les graffitis y sont sévèrement réprimés.
Vous en conviendrai avec moi, ce ne sont là que quelques exemples d'une très longue liste de causes qui auraient certainement un besoin plus criant de votre appui.
Parlons maintenant de votre fantastique idée de boycotter la SAQ et de se rabattre sur du vin de dépanneur ou de la bière. En faisant cela, bien sur, vous diminuez le chiffre d'affaire de la compagnie d'état et exercez une pression sur elle.
Puis-je vous rappeler que vous augmentez également les profits de canaux de distribution existant dans lesquels les conditions de travail sont de beaucoup inférieures à celle de la SAQ? Et cela, sans présager de l'augmentation des approvisionnements de contrebande?
Pendant ce temps, la SAQ récolte les redevances sur la vente de ces boissons aux distributeurs et ne doit pas payer les salaires de ses employés.
Tout le monde est mort de rire sauf les travailleurs du secteur et les grévistes. Bien joué…
Si vous voulez boycotter des produits, vous n'avez que l'embarras du choix: ceux d'entreprises polluantes ou qui exploitent le travail des enfants ou celles qui ont fermé des usines au Québec. Vous pouvez également boycotter les produits qui viennent d'un pays réputé pour son non respect des droits de l'homme comme la Chine. Bref, ici encore beaucoup de fantastiques opportunités manquées.
Je dois remercier Monsieur Kadir, sans lui je n'aurais pas trouvé de réponse à ma question sur le bien fondé d'avoir une SAQ. Vous avez eu cette remarque juste et pertinente à l'effet que la boisson n'est pas un bien de première nécessité et dont on peut aisément se passer.
Sur vos paroles, tout est devenu clair: pourquoi l'État devrait-il gérer des biens qui ne constituent pas un bien collectif de première nécessité?
La mission de l'État est de garantir la disponibilité des biens essentiels de façon uniforme à sa population. C'est pour cela qu'il est plus que nécessaire qu'il continue à gérer l'eau et l'électricité.
Mais quid de l'alcool un bien de consommation qui répond aux lois du marché au même titre que le lait, la pomme de terre ou la salade. Plus de SAQ, plus de problème et l'État engrange toujours les redevances sur la vente d'alcool sans plus payer des salaires supérieurs à la moyenne. La distribution est réalisée par des entreprises privées.
Bingo, Monsieur Kadir, vous êtes un néo-libéral redoutable!
En conclusion, j'admire sincèrement votre implication sociale et les messages d'égalité que vous véhiculez.
Je voudrais juste vous inciter à choisir vos combats avec un peu plus de discernement si vous voulez conserver votre crédibilité.
Un autre conseil: si vous voulez vous dissocier de l'image d'un parti inféodé à certaines centrales syndicales, choisissez le moment de vos apparitions.
Alors que ce conflit date de bien avant Noël, vous apparaissez dans le portrait dès que les employés ont arboré des pancartes CSN et que leur moral commence à descendre.
Le sort des employés était-il moins important pour vous il y a deux mois? Auriez-vous agit comme les porte-parole de ce syndicat que vos actes n'eurent pas été différents.
Aurons-nous donc la chance de vous voir aux campagnes de levée de fonds pour les REER de la CSN ou du FSTQ?
Je ne suis pas certain qu'en agissant de la sorte vous aidiez vraiment la cause de ces travailleuses et travailleurs. Plutôt que de les maintenir dans l'illusion de conditions de travail qui leur sont inaccessibles pour l'instant, aidez-les à retourner dignement au travail et assoyez-vous de bonne foi avec l'employeur pour trouver des solutions à long terme.
Si vous visez une répartition plus égale des revenus dans un secteur, n'essayez pas d'élever les plus hauts, remontez les plus bas!"