BloguesRichard Martineau

L’ère des complots

La paranoïa ne s'est jamais aussi bien portée. Le citoyen moyen s'est transformé en clone d'Oliver Stone. Il ne croit plus personne, se méfie de tout le monde, surtout des flics, des politiciens et des militaires. Toutes les théories, même les plus farfelues, sont désormais possibles.

Avec tout ce qu'on a appris sur la SQ, les services de contre-espionnage, l'Armée américaine, la CIA, la Maison-Blanche, pourquoi pas? Tout est possible, même le plus improbable.

Surtout le plus improbable.

Hier, délire grotesque réservé à une poignée de marxistes-léninistes qui voyaient des agents de la CIA partout, la paranoïa a aujourd'hui pignon sur rue, et séduit autant les militants d'extrême gauche que les milices d'extrême droite.

Dans les librairies, on ne compte plus le nombre d'ouvrages portant sur la chose.
Il y a The 50 Greatest Conspiracies of All Time, une brique encyclopédique qui recense les plus importants complots du XXe siècle, de l'assassinat de Marilyn Monroe aux expériences médicales de la CIA.
OK-Bomb, un ouvrage qui fait des révélations étonnantes sur le rôle joué par la CIA dans l'attentat terroriste d'Oklahoma.
It's A Conspiracy, un essai qui nous apprend que la CIA est infiltrée par des militants nazis.
The Cosmic Conspiracy, un pamphlet qui fait des liens entre la numérologie, la Bible, l'Apocalypse, les ovnis et la CIA.
Et The Big Book of Conspiracy, une grosse bédé qui dévoile les dessous pas très propres de (surprise!) la CIA.

La fièvre de la parano frappe aussi les magazines. C'est ainsi que vous pouvez vous abonner à Paranoia, Gauntlet ou Prevailing Winds. Au programme: qui a tué River Phoenix et Jimi Hendrix; l'assassinat de deux syndicalistes américains par Ferdinand Marcos en personne; l'implication du FBI dans l'attentat du World Trade Center; les activités du quatrième Reich en Californie, et les dangers du NutraSweet.

Quant à Internet, on n'en parle pas. Réseau chouchou des paranos en herbe qui attendent la fin du monde en bouffant des Doritos dans leur sous-sol, le Net est aux amateurs de complots ce que le téléphone-cellulaire est aux v.-p. marketing: un organe vital, quelque chose comme une troisième jambe.

Un petit coup de http, et on vous apprend que le virus du sida a été fabriqué en laboratoire par le Pentagone; que le bon Richard Nixon a été victime d'un coup d'État; qu'il existe un lien entre le massacre de Jonestown et l'assassinat de Martin Luther King; que des médecins ont mis sur pied un réseau de trafic de coeurs, et que Jim Morrison rigole comme un dingue au beau milieu du Pacifique.

Un site Internet prétend même qu'il existe un complot destiné à faire du set carré la danse folklorique nationale des Américains!

Sans oublier la compagnie SCHWA, qui utilise le Net pour vendre des «kits de survie» en cas d'une éventuelle invasion de la Terre par des Martiens.

Avant, dans les années soixante, lever le voile sur des complots impliquant le gouvernement et le «complexe militaro-industriel» était vachement audacieux. Maintenant, c'est devenu un cliché.
Tout film qui se respecte a son politicien corrompu, son espion tordu, son industrialiste crypto-fasciste. Ces personnages font partie de notre imaginaire.

En fait, c'est le contraire qui surprend: un thriller sans complot, un suspense sans conspiration. Rien sous le manteau, tout qui se déroulerait au grand jour.