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Guerre sale: réaction

Un courriel de MARTIN FORGUES:

"Étant particulièrement critique envers la guerre en Irak, je voudrais d'abord clarifier que je n'endosse aucunement cette guerre. Cette réaction se veut plutôt un plaidoyer en faveur des troupes qui y sont déployées.

Étant moi-même militaire et vétéran d'une mission en Bosnie, j'aurais quelques points à apporter sur ce débat que vous avez écemment soulevé.

D'abord, il faut souligner que les conflits modernes ne ressemblent plus à la Seconde Guerre Mondiale. On parle aujourd'hui de «guerre asymétrique»: une guerre où l'ennemi n'est plus clairement identifiable, où des civils prennent les armes et se fondent parmi la population.

Aucune personne sensée ne peut dire que la guerre est «noble» ou qu'il existe des guerres «propres». Je crois que les militaires impliqués dans une situation de combat sont les premiers à s'en rendre compte dès leur baptême du feu.

Et comme le dit le capitaine Tonkin (que vous citez dans votre texte), la Convention de Genève est une utopie, car même en temps de guerre, les armées des pays signataires ne s'y plient pas nécessairement. Peut-on les blâmer?

Par exemple, le Marine qui a tiré à bout portant un insurgé irakien (vu, si je me souviens bien, sur ABC-News) venait de passer 52 heures en patrouille, avec un minimum de repos, et son peloton avait essuyé une attaque à la roquette qui avait coûté la vie à plusieurs de ses compagnons. Ce soldat venait d'évacuer un stress qui aurait pu le pousser, entre autres, au suicide.

Acceptable dans notre société? Non. Compréhensible dans un tel contexte? Oui.

Il est fort populaire de critiquer les armées occidentales pour leurs «crimes de guerre» (i.e.: les événements d'Abu Ghraib), mais on parle moins des tortures que nos soldats ont subies aux mains des forces ennemies.

(À ce sujet, une suggestion de lecture: Bravo Two Zero, d'Andy McNab, racontant l'histoire d'une patrouille des forces spéciales britanniques ayant tournée au vinaigre).

Électrocutions, arrachage d'ongles, amputations – bon appétit!

Pire encore, les vidéos de décapitations de militaires et de civils par les insurgés irakiens. Si l'on s'indigne vivement contre de telles atrocités, on revient toujours aux entorses de l'armée américaine aux dites Conventions.

Pourquoi? Parce que les forces armées occidentales sont toutes signataires des Conventions. La guerre noble et encadrée par des règles? Foutaise. Tous les vétérans le diront, la guerre est vile, sale et déshumanisante.

Mais est-ce que les insurgés irakiens – des bandes de fanatiques religieux menés par des psychopathes, et non des armées conventionnelles – se cassent la tête à respecter les Conventions comme s'ils jouaient au Monopoly? Non.
En cela, se servent-ils de notre engagement à ces règles comme avantage stratégique? Oui.

En cela, j'aimerais que les habitués du blogue Martineau repensent à ses fameux jeux de la morale. Les guerre posent toujours des questions morales du genre.

Un prisonnier détient un renseignement vital qui peut sauver des vies ou mettre un terme à une guerre. Doit-on lui extirper ces renseignement à coups de baffes? L'utilisation de la torture peut-elle être justifiée dans ce cas précis?

La bombe atomique a tué 170 000 personnes à Hiroshima. Certains diront que des centaines de milliers d'autres ont survécu puisque la guerre s'est arrêtée à cet instant. Qu'en pensez-vous?

Les «bombardements stratégiques» des villes allemandes ont tué des milliers de civils, mais ils ont porté un coup fatal à la machine industrielle nazie, ce qui a permis aux Alliés de conserver l'initiative de l'offensive, et donc de gagner la guerre, peut-être de l'avoir écourté. Est-ce justifiable?

Est-ce humainement acceptable? Non. Est-ce un sale boulot qui devait être fait? Oui.

Est-ce que quiconque dans la hiérarchie militaire, ou même G.W. Bush, prend un malin plaisir à se masturber en mettant à feu et à sang un pays entier? Je ne le crois pas.

La guerre est sale, point. Et d'un point de vue stratégique, des milliers de militaires ont payé de leur vie cette opération de relations publiques qu'ont baptise «la guerre propre».
Vous voulez mettre l'ennemi à vos pieds et gagner la guerre en un minimum de temps? La solution est simple mais sanglante.

Eh oui: la guerre, elle est sanglante. Et elle fait des victimes civiles.

Faillite de la démocratie? Absolument. Avons-nous une démocratie infaillible? Non.

Je crois qu'il faut arrêter de démoniser l'armée en fonction des individus qui la composent.
En ce qui concerne l'Irak, il s'agit d'une situation où les riches s'en sauvent et où les pauvres l'ont dans le cul. C'est indéniable.

Mais je crois que les forces armées, à l'instar de ce qu'a déjà affirmé le général Dallaire, ont une utilité dans notre monde qui est de plus en plus insécure.

Le Canada, par exemple, pourrait jouer un rôle prépondérant sur le plan militaire s'il acceptait son statut de puissance moyenne.
Et nous ne sommes pas, n'en déplaise aux partisans de la gau-gauche facile, aveugle et sans compromis, une armée de fous sanguinaires qui recrutent des pauvres pour aller tuer des enfants.

La Somalie, c'était il y a douze ans, et le cirque médiatique tournait autour d'un incident isolé qui a mené au démantèlement d'une des seules unités d'élite de l'armée canadienne. Et en cet ère post 11 septembre, le Régiment Aéroporté brille par son absence.

Mais l'armée est la première victime de la politique partisane dans une société comme la nôtre.

La job est sale, mais quelqu'un doit la faire. Et ces femmes et ces hommes la font afin que nous puissions pantoufler ici à leur cracher dessus."