«Si on vendait le sperme 300 $ l'once, je suis sûr que les femmes s'en mettraient autour des yeux.»
– Maxim Martin
Il y a quelques mois, l'hebdomadaire britannique The Economist publiait un reportage sur l'industrie de la beauté. On y apprenait que selon les estimations de la firme Goldman Sachs, le chiffres d'affaires généré par l'industrie des cosmétiques augmentait de 7 % par année. C'est un taux de croissance deux fois supérieur à celui du PIB des pays développés.
L'industrie du maquillage génère 18 milliards de dollars par année; celle des soins de la peau, 24 milliards; celle des produits capillaires, 38 milliards; et celle des parfums, 15 milliards.
Comme on dit, c'est plus que du bonbon.
En Inde, la vente des crèmes anti-ride augmente de 40 % par année, et le Brésil compte plus de représentantes Avon que de militaires!
Pourtant…
Qui croit encore que l'on peut ralentir le vieillissement en se mettant de la crème autour des yeux? Personne. On ne compte plus le nombre de reportages et de dossier qui ont démontré l'inefficacité de ces produits. Toutes les études le prouvent: ces onguents-miracle s'équivalent tous. La seule différence, c'est le prix. Et la forme de la bouteille.
On ne retarde pas le vieillissement en se crémant les joues. On ne soigne pas la calvitie avec des shampoings. Et on ne maigrit pas en se badigeonnant les jambes.
Ce sont des évidences que tout le monde connaît. Mais ça ne nous empêche pas de dépenser des fortunes en produits de beauté. Pourquoi?
Dans La Connaissance inutile, un essai politique publié en 1988, le philosophe français Jean-François Revel brosse un portrait dévastateur de la société de l'information. L'homme, dit-il, n'a jamais été aussi informé. La communication n'a jamais été aussi abondante, aussi rapide et aussi omniprésente. Une simple pression de l'index, et vous pouvez tout savoir sur le PIB du Soudan, les exportations de la Norvège et les conditions de détention dans les prisons turques.
Or, ce déluge de lettres et de chiffres n'a pas empêché la majorité des intellectuels de soutenir les yeux fermés des régimes dictatoriaux.
Ce n'est pas vrai qu'on ne savait pas ce qui se passait dans les camps staliniens, en Sibérie. On le savait fort bien. Toutes les données étaient disponibles. On avait accès à des témoignages, à des récits, à des analyses décrivant par menus détails toutes les horreurs qui se tramaient dans cette partie du monde.
Le problème n'est pas qu'on ne savait pas ce qui se passait. Le problème, c'est qu'on ne voulait pas le savoir. On continuait à croire que l'URSS était un paradis, même si des dizaines de fugitifs nous affirmaient que cette contrée était un véritable donjon.
Pourquoi cet aveuglement, cet entêtement à ne pas voir? Tout simplement parce que l'homme a besoin de croire.
C'est la même chose avec les produits de beauté. On sait que ces crèmes ne valent rien, mais on fait semblant qu'on ne le sait pas. Car un monde voué à la décrépitude et à la mort est un monde insupportable. Nous avons besoin de croire à l'éternelle jeunesse pour continuer à vivre.
On dit souvent que les consommateurs sont de plus en plus renseignés, allumés, avertis. Effectivement, ils le sont. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont plus informés qu'ils vont consommer plus intelligemment.
Au Moyen-Âge, les femmes buvaient un cocktail à base d'arsenic et de sang de chauve-souris pour clarifier leur teint. Aujourd'hui, elles se couvrent le visage de crèmes hyper dispendieuses. Deux époques, une même superstition.
Voilà pourquoi le monde de la publicité ne changera jamais complètement. Parce que les gens, même les plus sophistiqués et les plus éduqués, auront toujours besoin de rêver.
Il y aura toujours de la place pour une crème qui rajeunit, un char qui attire les poupounes et une pharmacie où l'on trouve de tout, même un ami.