Le lait donne le cancer. Les terroristes peuvent abattre des avions de passager avec des missiles sol-air. L'air est pollué. Les vaches sont folles. Le virus du Nil nous menace. Le Père Noël du supermarché est peut-être un pédophile.
Vous savez quelle est l'émotion la plus partagée, en ce moment? Ce n'est pas l'amour ni la compassion: c'est la peur.
L'homme contemporain a la chienne.
Il se méfie de tout. De l'eau qu'il boit, des aliments qu'il mange, des gens qu'il croise. Chaque jour, les médias lui donnent une nouvelle raison de s'inquiéter. Le lundi, c'est la drogue du viol. Le mardi, les motards criminalisés. Le mercredi, l'armée russe qui a perdu quinze kilos de plutonium.
La fin du monde n'est plus à sept heures, mais à toutes les heures. Il suffit de regarder ce qui se passe à Hollywood pour se rendre compte de l'ampleur de la crise. On ne compte plus le nombre de films-catastrophes qui ont pris l'affiche au cours des dernières années.
Dans The Core, le champs électromagnétique qui protège la Terre menace de disparaître. Dans Armageddon et Deep Impact, un météorite géant s'apprête à frapper la planète. Dans 28 Days Later, un virus décime l'humanité. Dans Independence Day, des extra-terrestres font sauter la Maison-Blanche. Dans Terminator et The Matrix, les machines transforment les hommes en esclaves. Et dans War of the Worlds, de Spielberg, tout explose, tout fout le camp: la cellule familliale, les bâtiments, les ponts, les systèmes de télécommunication, le tissu social, le gouvernement, tout.
Pas étonnants que les super-héros soient aussi populaires. Nous n'avons jamais autant eu besoin d'être rassurés. Et les institutions qui sont censées nous protéger n'ont jamais paru aussi vulnérables. Que faisaient le FBI et la CIA le 10 septembre 2001? Que faisait les fonctionnaires de l'Ontario la veille du scandale de Walkerton? Que faisaient les patrons de la Croix-Rouge au début de la crise du sida? Rien. Ils dormaient littéralement sur la switche. Vite, Superman, enfile ta cape et viens nous sauver!
Partout à travers l'Occident, la consommation d'antidépresseurs grimpe en flèche. L'homme a peur, donc il gobe. Du prozac, des valiums, du millepertuis. N'importe quoi pour nous calmer les nerfs. Je prends l'avion? Une pilule. J'ai rendez-vous avec mon patron? Une autre pilule. La pharmacologie n'a plus aucun secret pour nous. Nos armoires regorgent de petits comprimés rouges, de Tylenol, de Sudafed. Bientôt, si ça continue, on pourra acheter des labos portatifs chez Wallmart. Faites vous-mêmes votre propre drogue.
Désolé, mais j'ai de petites nouvelles pour vous: le monde ne sera jamais 100 % sécuritaire. Il y aura toujours des avions qui tombent, des trains qui déraillent, des fous armés jusqu'aux dents prêts à se faire sauter pour leur cause. C'est l'une des conséquences désastreuses de la mondialisation: le monde est devenu inter-dépendent. Il n'y a plus de murs, plus de clôtures capables de nous protéger. Nous vivons dans un monde poreux, perméable. Fragile.
Face à cette terrible réalité, on a deux choix: mourir d'inquiétude avant de mourir pour vrai, ou alors ouvrir les bras et enlacer la vie.
J'ai choisi la deuxième solution.
Rigoler avec des copains, manger, voyager. Essayer de profiter de la vie au maximum. Quand on me dit que nous vivons dans un monde de merde, je regarde le visage de mes enfants et je reprends espoir. Quand on me répète que 50 % des couples divorcent, je touche l'alliance qui orne mon auriculaire gauche, j'écoute la femme que j'aime respirer à mes côtés, et je me dis que je ferai mentir les statistiques.
Il n'y a qu'une façon de tromper la peur. Foncer. Vivre sans retenue, le cour gros comme ça et les doigts croisés.
Après tout, comme disait Roosevelt, nous n'avons rien à craindre. sauf la peur.