C'est fou comme on parle de Karla Homolka, ces temps-ci. Pas une journée sans que son nom apparaisse dans les journaux.
Qu'on le veuille ou non, les gangsters et les criminels sont des stars, au même titre que les vedettes de la chanson et du cinéma. On les traite comme telles, on publie leurs photos dans le journal, on suit leurs carrières à la trace. On les affluble même de petits sobriquets mignons: Maurice "Mom" Boucher, Louis "Melou" Roy, Normand "Bif" Hamel, René "Baloune" Charlebois…
(En passant, voulez-vous me dire pourquoi les lecteurs de nouvelles embarquent dans ce cirque? Appeler un gangster par son surnom contribue à le rendre sympathique, drôle, presque inoffensif, comme si c'était un p'tit-cul qui jouait aux bandits et à la police, ou un personnage de cartoon. Désolé, mais on n'appelle pas un criminel "Dédé" ou "Zozo". Ce ne sont pas des joueurs de hockey ou des lutteurs bigarrés qui distraient la foule le dimanche après-midi. Ce sont de minables voyous qui gagnent leur vie en tuant et en extorquant. Vous tenez absolument à leur donner des sobriquets? Essayez"Trou de cul", "Salaud" et "Mangeux de marde". Ce serait plus représentatif de la réalité.)
Regardez Canal D, A & E ou The Biography Channel. On y présente des portraits de Charles Manson, de Joe Bonnano, de Jack l'Éventreur et d'Al Capone.
Qu'ont en commun tous ces personnages? Ils sont célèbres. Certes, ils n'ont pas fait leur marque dans le showbiz, mais on s'en fout: l'important, c'est qu'ils ont tous réussi à se faire un nom. Dans notre société obsédée par la gloire, c'est ce qui compte, non?
Il y a quelques années, je suis allé assister à un combat de boxe au Centre Molson. Comme c'est souvent le cas avec la boxe, on pouvait voir quelques vedettes assises au premier rang. Mais ce ne sont pas elles qui faisaient tourner la tête des spectateurs: ce sont les Hell's, qui portaient fièrement leurs couleurs. Derrière moi, j'entendais les gens murmurer: "Il est où, Mom Boucher? Il paraît qu'il vient toujours aux combats importants. Est-ce que c'est lui, là-bas?"
Les gens faisaient lentement le tour de l'arène en cherchant Maurice Boucher du regard. S'ils l'avaient trouvé, ils lui auraient sûrement demandé un autographe.
La culture pop est contaminée par un drôle de virus, qui cause une "transmutation des valeurs".
D'un côté, dans des productions comme Les Sopranos, par exemple, on nous dit que les gangsters sont des types sympathiques, des pères de famille comme vous et moi qui respectent le code de l'honneur et essaient juste de gagner leur vie.
Et de l'autre, dans des films comme Happiness ou American Beauty, on laisse entendre que l'honnête citoyen qui tond sa pelouse, sort ses vidanges et paie régulièrement ses taxes est au mieux un loser, au pire, un pervers.
Le bandit est un bon gars. Et le bon gars est un bandit. Ne vous fiez pas aux apparences: ce n'est pas le motard ou le mafioso qui menace votre tranquillité, mais votre voisin d'en face…
Bullshit.
Les mafieux ne sont pas des boy-scouts, mais des tueurs. Quant au sens de l'honneur des gangsters, ne me faites pas rire…
Jimmy Durante et Bugsy Siegel. Frank Sinatra et Joe Bonnano. Claude Blanchard et Frank Cotroni. Ce n'est pas d'hier que des artistes fréquentent des bandits. Le showbiz a toujours été attiré par la mafia.
Dans Le Blues du businessman, Claude Dubois chante: "J'aurais voulu être un artiste, pour pouvoir être un anarchiste et vivre comme un millionnaire."
C'est exactement la raison pour laquelle certains p'tits-culs rêvent de devenir gangsters.
Ils se foutent des lois. Et ils vivent comme des millionnaires.