L'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur vient de publier un numéro hors série sur les nouvelles utopies.
Parmi les nouvelles utopies mentionnées dans ce numéro spécial, on parle de l'utopie végétarienne. Comment, dans quelques années, les amateurs de viandes seront considérés comme des parias (au même titre que les fumeurs aujourd'hui), comment on va reconvertir les terres agricoles attribuées aux animaux d'élevage en vergers, comment tout le monde va se mettre à manger des carottes, etc.
On dit aussi que, dans un avenir rapproché, les animaux seront considérés comme des individus à part entière. Vous avez bien lu: ils auront leur Chartre des droits, leurs avocats, leur cour de justice, etc. La corrida sera interdite, de même que la chasse, la pêche de loisir, les expérimentations, les cirques avec des animaux, la fourrure…
En 1979, Albert et Ruby Arrington, un couple de Texans richissimes, ont divorcé après 16 années de mariage. Le juge a séparé leur fortune en deux: le terrain de golf, le bateau, les voitures, les tracteurs et la collection d'armes à feu au mari; les meubles, les appareils électroménagers, la Cadillac, les bijoux et beaucoup, beaucoup d'argent à madame.
Mais il y avait un hic: les Arrington possédaient une chienne, Bonnie Lou. Comme celle-ci avait été offerte en cadeau à Ruby par un proche de la famille, madame fut déclarée propriétaire de l'animal – décision qui déplut souverainement à monsieur, lequel avait noué d'excellentes relations avec son amie à quatre pattes. Albert Arrington tenta de se faire nommer "tuteur" de la chienne, histoire de garder un droit de visite (un week-end sur deux, une niche chez papa, une autre chez maman), mais le juge refusa, prétextant que Bonnie Lou, sur le plan juridique, n'était pas une personne mais un objet.
Si Albert Arrington avait attendu quelques années de plus avant de divorcer, il aurait pu demander à un avocat spécialisé en droit des animaux de contester la décision du juge. Des psychologues pour chiens auraient pu appeler Bonnie Lou à la barre et lui demander si elle préférait rester avec sa "mère" ou avec son "père".
Vaudeville? Science-fiction? À peine. Autrefois ridiculisé, le droit des animaux a gagné ses lettres de noblesse. Cette spécialisation a même fait son entrée à la prestigieuse Université Harvard ce printemps! Les défenseurs des droits des animaux ont maintenant leur journal (Animal Law), leur centre d'opérations (Animal Rights Law Center), leur association (Law Student Animal Rights Alliance) et leur gourou, Steven M. Wise.
Professeur de droit dans plusieurs universités américaines, Steven M. Wise a publié un bouquin sur le sujet: Rattling the Cage: Toward Legal Rights for Animal. Écrit en collaboration avec la célèbre primatologue Jane Goodall, ce livre de 362 pages prétend que les animaux – plus particulièrement les singes – devraient avoir des droits, au même titre que n'importe quel être humain.
"Les singes sont des êtres conscients, dit-il. Ils ressentent différentes émotions, résolvent des problèmes, comprennent les liens de cause à effet, inventent et utilisent des outils. Si on leur en donne la possibilité, ils peuvent même communiquer leurs désirs et leurs pensées, et enseigner les rudiments du langage à leurs descendants. Il est grand temps que nous cessions de les traiter comme des objets."
Que l'on cherche à protéger les singes contre les abus est tout à fait légitime: après tout, ce sont nos cousins germains. Mais pousser cette logique jusqu'au bout pourrait mener à des excès grotesques.
Il y a quelques années, par exemple, des militants écolo ont présenté au Congrès américain un projet de charte des droits des animaux. Un des points mentionnait que "les animaux ont le droit d'avoir recours aux services d'un avocat pour défendre leurs droits". Tout cela est bien beau, mais qu'entend-on, au juste, par "animal"? Le terme ne s'applique-t-il qu'aux grands primates ou touche-t-il aussi les chiens et les chats?
Et que dire des insectes? Devraient-ils eux aussi être protégés par une charte des droits? Après tout, des milliers d'études entomologiques l'ont prouvé: les fourmis et les abeilles sont des créatures exceptionnelles, à l'organisation sociale évoluée. Elles communiquent entre elles, construisent des abris ingénieux, etc.
Qui sait? Dans quelques années, les spécialistes en droit des animaux diront peut-être que l'emploi d'insecticides est un crime contre le genre animal. Et que les jardiniers un peu trop zélés devraient être accusés de génocide…