BloguesRichard Martineau

Armes de distraction massive

Distraction: Manque d'attention aux choses dont on devrait normalement s'occuper, l'esprit étant absorbé par un autre objet. Synonyme: étourderie, erreur, amusement. (Le Petit Robert)

Vous en avez ras le bol de la télé réalité? Vous attendez avec impatience le jour où ce phénomène va (enfin) imploser? Eh bien, attachez votre tuque avec de la broche et prenez une surdose de Tylenol. Un groupe d'entrepreneurs américains travaillent d'arrache-pied pour mettre en ondes le premier réseau consacré exclusivement à la télé réalité.

Vous avez bien lu: de la télé réalité vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine. (On a attaqué l'Irak pour moins que ça. Où est le Conseil de sécurité de l'ONU lorsqu'on en a besoin?)

Ce qui est étonnant, avec la télé réalité, c'est qu'elle réussit toujours à repousser les frontières du mauvais goût. Juste comme on a cru avoir touché le fond avec Who Wants to Marry a Millionnaire?, un quiz délirant dans lequel 50 pétasses peroxydées se disputaient l'attention d'un humoriste sans le sou déguisé en richissime célibataire, le réseau Fox nous présente My Big Fat Obnoxious Fiancé, un quiz encore plus débile dans lequel une enseignante de 23 ans fait semblant d'être fiancée à un Joe Blow obèse, vulgaire et détestable.

Si l'idiot en question (interprété, vous l'aurez deviné, par un humoriste sans le sou) réussit à séduire ses futurs beaux-parents, la candidate remporte un million de dollars. Sinon, elle retourne dans son trou.

Vous connaissez le microscope à force atomique? Il s'agit d'une invention révolutionnaire qui permet de voir la surface des atomes. Grâce à cet outil hyper puissant, l'homme peut scruter l'infiniment petit. Eh bien, je suis sûr que même si l'on pointait le microscope à force atomique en direction du studio où l'on enregistre My Big Fat Obnoxious Fiancé, on ne trouverait pas la moindre trace d'intelligence. Rien, nada. Le grand vide intersidéral.

Je ne sais pas ce qui s'est passé ces dernières années, mais j'ai l'impression que nous nous sommes tous transformés en madame Kravitz, la voisine écornifleuse de la sitcom Ma sorcière bien-aimée. Comme elle, nous passons nos journées le nez collé à la fenêtre à épier nos voisins. Nous les regardons quand ils prennent leur douche, quand ils se crêpent le chignon, quand ils se trahissent et quand ils font l'amour.

C'est comme si le monde entier était devenu un gros dépanneur; il y a des caméras de surveillance partout. Nous n'avons pas besoin de Big Brother pour nous regarder: nous nous regardons nous-mêmes. À la télé, au cinéma, sur Internet.

Il n'y a plus rien de sacré, même les actes les plus intimes servent de véhicule publicitaire. Endemol, la maison de production européenne qui a créé Big Brother, le premier gros show de télé réalité, vient d'annoncer son prochain projet: I Want Your Baby. Une femme qui rêve d'enfanter doit choisir un géniteur parmi une quinzaine d'hommes.

On ne sait pas encore si la collecte de sperme et l'insémination allaient être diffusées. Probablement. Après tout, n'est-ce pas le but de l'opération? «Restez à l'écoute, après la pause, Charlie va aller se masturber dans les toilettes!»

Grâce à la télé réalité, les gens ordinaires deviennent des stars et les stars font semblant d'être ordinaires. Un pêcheur de homards remplit le Centre Bell et Michèle Richard se fait filmer pendant qu'elle sort ses poubelles. Cherchez l'erreur.

Avant de mourir sous les balles d'un fou qui rêvait de devenir célèbre, John Lennon a écrit l'une de ses plus belles chansons, Nobody Told Me. Les paroles sont prophétiques:

«Everybody's talking and no one say a word / Always something happening and nothing's going on / Everybody's a winner and nothing's left to lose / Strange Days indeed.»

Une drôle d'époque, effectivement.