Parlant de liberté d'expression…
Savez-vous quel sujet le plus délicat à aborder, quand on est chroniqueur? Celui qui génère le plus de courrier, de lettres enflammées, d'insultes?
Ce n'est pas les relations homme-femme, ni la politique, ni l'argent.
C'est la religion.
On a beau être en 2005, Dieu reste toujours un sujet sensible. Comme on dit, on a peut-être sorti le gars des églises, mais on n'a pas encore sorti les églises du gars.
Prenez la campagne publicitaire des créateurs de mode Marithé et François Girbaud, par exemple, qui a fait tout un tabac en mars dernier, en France. Qui aurait pensé qu'une satire somme toute innocente de la dernière Cène de Léonard de Vinci, avec des mannequins sexy dans le rôle des disciples du Christ, aurait suscité un tel tollé, en France? C'est pourtant ce qui est arrivé.
Offusquée par un panneau publicitaire qui, selon ses membres, mettait en scène «des femmes dans des poses lascives (et) des comportements érotiques et blasphématoires», l'association religieuses Croyances et Libertés a demandé à la Cour d'interdire la campagne! Raison invoquée: «Cette pub constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l'occurrence le catholicisme.»
Qu'un groupe religieux crie à la censure devant une telle pub, c'est une chose. Après tout, les grenouilles de bénitiers ne sont pas reconnues pour leur sens de l'humour ou la subtilité de leur pensée. Mais qu'un juge leur donne raison, c'en est une autre.
C'est pourtant ce qui s'est passé au pays des Lumières. Sous prétexte que cette image «constitue un acte d'intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes», le tribunal de grande instance de Paris a demandé que l'on censure l'affiche.
Liberté, égalité, fraternité!
Je me demande comment les âmes pieuses de Croyances et Libertés (bonjour l'oxymoron) auraient réagi si elles avaient vu la campagne publicitaire que la chaîne câblée HBO a conçu pour vendre la série The Sopranos, il y a deux ans.
La pub (publiée entre autres dans le magazine à grand tirage Entertainment Weekly) parodiait le dernier repas du Christ. Sauf que cette fois, ce n'était pas des top-models qui jouaient le rôle des apôtres, mais les personnages principaux de la série! Le chef de la mafia Tony Soprano interprétait le Christ, alors que ses «capitaines» et autres hommes de main jouaient le rôle de ses disciples!
L'affiche a-t-elle été censurée? Absolument pas. Pourtant, elle était diffusée dans le merveilleux pays de George W. Bush, un «Born Again Christian» qui ne peut faire un pas sans consulter sa Bible. Preuve que les Américains ne sont pas si retardés. Et les Français, si avant-gardistes.
Ce qui semble choquer nos cousins français est l'utilisation commerciale de l'image du Christ; le fait qu'on utilise un symbole religieux pour vendre des produits.
Je m'excuse, mais êtes-vous allé au Vatican, récemment? À Notre-Dame-de-Paris? À l'Oratoire Saint-Joseph? On trouve de tout, à l'ombre de ces temples: des cendriers, des porte-clés, des poupées, des flacons d'huile «miraculeuse», des photos couleurs montrant Jésus en train de faire un clin-d'oil. Ce n'est pas du commerce, ça? Même l'empire Disney ne distribue pas autant de produits dérivés.
Bizarre: lorsque Mel Gibson a vendu des clous en argent pour mousser la sortie de son péplum hyper-violent, aucune association catholique n'a grimpé aux rideaux et crié au scandale.
Personnellement, je ne vois pas en quoi la pub de Girbaud est blasphématoire. Au contraire, je la trouve même pieuse.
Qu'est-ce que cette pub, sinon un hommage à la force incroyable de cette image, qui transcende les siècles et les cultures?
Et comme le dit Le Petit Robert, un hommage, c'est «une marque de vénération, de soumission respectueuse» et «un témoignage de respect, d'admiration et de reconnaissance».
Bref, on est loin du blasphème.