BloguesRichard Martineau

Je suis cool

«Tu vas manger au resto X ce soir? Écoute, plus personne ne va manger là.

– Ah, non? Pourquoi?

– Il y a trop de monde.»

S'il y a un gag qui capte à merveille le dilemme auquel sont confrontés les publicitaires aujourd'hui, c'est bien celui-là.

En effet, à cette ère d'individualisme à tout crin, où tout le monde et son frère se targuent d'être spéciaux et à contre-courant, les consommateurs ne veulent pas seulement acheter un bon produit. Ils veulent acheter un produit cool, qui leur permettra de se démarquer du lot et de crier haut et fort leur originalité.

Or, le cool est par définition confidentiel. Un produit trop connu ne peut pas être cool. Dès qu'un produit cool commence à être populaire et à plaire aux «450» (les «Bridge and Tunnel People», comme on dit à New York), il perd son caractère magique et sombre dans la masse grise des objets indistincts.

Prenez les vêtements Burberry, par exemple. La valeur de la marque Burberry a commencé à décliner le jour où elle a plu à trop de gens.
Dans leur livre The Rebel Sell: Why Culture Can't Be Jammed, un essai percutant qui pourfend les critiques de la société de consommation (et qui vient d'être traduit sous le tire "Révolte consommée: le mythe de la contre-culture"), le Torontois Joseph Heath et le Montréalais Andrew Potter retracent la montée fulgurante et la chute tout aussi soudaine de la célèbre marque Burberry.

Inspirés des imperméables qui ont été créés pour les officiers de l'Armée britannique pendant la Première guerre mondiale, les vêtements Burberry ont commencé à devenir «hot» à la fin des années 90, grâce à une campagne mettant en vedette Stella Tennant, une top model qui était aussi la petite-fille du duc et de la duchesse de Devonshire. Du coup, les gens cool qui voulaient se donner un petit air aristocrate se sont mis à porter du Burberry.

Or, en 2000, alors que la marque se portrait très bien, merci, une participante de Big Brother 4, une émission de télé-réalité regardée par des millions de téléspectateurs chaque semaine, a commencé à se balader en bikini Burberry.

Résultat: les citoyens «ordinaires» se sont rués sur cette marque. Bonne nouvelle? Pas vraiment. La participante en question ne correspondait absolument pas au groupe-cible visé par les propriétaires de la firme. Ce n'était pas une intellectuelle sophistiquée à l'affût des nouvelles modes, mais une écervelée vulgaire qui rêvait de gagner le gros lot pour s'acheter des implants mammaires.

Comme l'a dit l'un des principaux stratèges de l'opération de marketing de Burberry: «Dès qu'une marque est adoptée par la masse, vous perdez le contrôle de son image.»

Avant, ceux qui portaient des vêtements Burberry cherchaient à se distinguer de la masse. Mais après le succès de Big Brother 4, les gens se sont mis à porter des vêtements Burberry pour se conformer et faire comme les autres.

Les fans de Burberry ne disaient plus: «Regardez comme je suis élégant et snob», mais: «Je veux me teindre les cheveux en blonds et porter du 40 DD». Ce n'est pas du tout la même chose.

Du jour au lendemain, des centaines de fabricants de vêtements se sont mis à copier le style Burberry. La compagnie n'avait plus le monopole du bon goût. Tout le monde et son frère pouvaient acheter du simili Burberry à rabais à la boutique du coin.

Or, la valeur d'une marque tient d'abord et avant tout à son exclusivité, à sa rareté. En se démocratisant, la marque Burberry avait signé son arrêt de mort.

Bref, c'est l'histoire classique d'une marque qui est devenue trop populaire trop vite.
Morale de l'histoire: c'est bien beau, populariser une marque, encore faut-il viser le bon public. Or, il n'y a pas un public plus difficile à séduire que le public «cool».

Car dès que vous devenez populaire auprès des «cool», vous n'êtes plus «cool».
C'est ce qu'on pourrait appeler le Catch 22 du marketing.