Imaginez qu'il ne s'est rien passé de croche dans le programme des commandites.
C'est difficile, je le sais, mais faites un effort.
Pas de pot de vin, pas d'enveloppe secrète, pas d'abus de pouvoir. Juste un beau petit programme tout propre, qui respecte parfaitement les règles établies.
Vous savez quoi? Même si cela avait été le cas, même si personne n'avait détourné la loi, même si le gouvernement Chrétien ne s'était pas comporté comme la famille Gambino, le programme des commandites n'aurait aucun maudit bon sens. Aucun.
Comme l'a écrit un chroniqueur de Globe and Mail: «Si tout ce qu'il fallait pour sauvegarder l'unité du pays était une poignée de drapeaux canadiens, alors le Canada ne méritait pas d'être sauvé.»
La phrase est dure, mais juste.
Car reprenons l'histoire depuis ses débuts.
Pourquoi le gouvernement Chrétien a-t-il décidé de mettre sur pied le fameux programme des commandites? Pour lutter contre les séparatistes québécois. On s'est dit que la meilleure façon de garder le pays uni était de redorer l'image du Canada au Québec. Comment? En échangeant des subventions contre de l'espace publicitaire.
Je te donne une liasse de billets verts si tu acceptes de coller le drapeau canadien sur ton affiche.
Je m'excuse, mais croyait-on vraiment que cette stratégie aurait eu raison du séparatisme québécois? Si oui, c'est la preuve par A + B que Jean Chrétien de n'a jamais rien compris au Québec.
C'est bien une idée de publicitaire, ça: «On va changer les mentalités avec un logo!»
Les Canadiens ne font pas d'exercice? On va leur dessiner une petite mascotte bleue. Vous allez voir comme les mentalités vont changer! Chaque fois que monsieur et madame Jambon verront la petite mascotte à la télévision, ils vont se mettre à faire des push-ups dans le salon.
Le Québec songe à quitter la Confédération? Pas de problème, on va coller des drapeaux rouges et blancs partout. Chaque fois que monsieur et madame Tremblay verront la feuille d'érable à la télé ou sur l'affiche du Festival de la patate de Chibougameau, il vont se mettre à chanter Ô Canada, la tête bien haute et la main droite sur le cour.
Croyez-vous vraiment ça? Pensez-vous vraiment qu'on peut changer le monde avec des logos? Si oui, mes amis, vous êtes plus malades que je ne le pensais. Vous êtes mûrs pour des vacances. Ou pire, pour la retraite.
Vous ne trouvez pas ça complètement imbécile, vous? Pensez-vous vraiment qu'il suffit de coller un drapeau canadien sur la quatrième de couverture de l'Almanach du peuple pour venir à bout des griefs des Québécois?
Bien sûr, que vous ne le pensez pas. Vous êtes trop intelligents pour ça. Vous savez que le problème est plus grave, et la situation, plus urgente. Mais vous jouez le jeu. Vous dites: «Ah oui, quelle bonne idée, des drapeaux sur l'affiche du Festival de la galette, mais oui, il fallait y penser.»
Vous hochez la tête, vous dites que c'est génial, puis vous courez dans votre bureau afin d'établir un devis.
Après tout, si le client croit que les pantalons bruns sont à la mode, on serait bien con de ne pas lui vendre de pantalons bruns, non? Après tout, le client a toujours raison. Même s'il se promène avec un entonnoir sur la tête.
Alors on en profite, et on lui vend un pantalon brun. Et une ceinture rouge. Et des souliers jaunes.
C'est ça, le véritable scandale des commandites. Pas que certains bandits aient profité de ce programme pour s'en mettre plein les poches (quoique.). Mais le fait que des stratèges fédéralistes aient pensé qu'il suffisait effectivement de distribuer des drapeaux à tous vents pour enterrer l'idée de la souveraineté!
Moi, c'est ça qui me choque. C'est ça qui me révolte.
Le cynisme des publicitaires, qui pensent qu'on peut vendre un pays comme on vend une marque de yogourt.