À l'ère du fast-food et des pilules pour l'âme, le succès est un plat qui s'avale tout rond. Aujourd'hui, on veut faire fortune. Tout de suite.
Connaissez-vous Rishi Bat? Cet adolescent de Chicago est un pianiste émérite et un champion de tennis. Il y a quelques années, Bat a conçu un logiciel permettant de surfer anonymement dans Internet. En septembre, il a vendu son invention à une société de Vancouver. Du jour au lendemain, il est devenu multimillionnaire, et aussi la nouvelle coqueluche des médias, qui font la queue pour l'interviewer.
Bat, 15 ans, fait partie de cette nouvelle génération de whiz kids qui ont fait fortune grâce à la nouvelle économie. Tandis que leurs amis passent leurs journées à regarder des clips ou à écouter le dernier U2, ces ados boutonneux investissent à la Bourse, gèrent des portefeuilles importants et siègent aux conseils d'administration de multinationales. Font partie de ce club sélect: Michael Furdyk, un Torontois de 17 ans qui a fondé une entreprise d'édition électronique; Jennifer Corriero, une Torontoise de 19 ans qui travaille comme consultante auprès de Microsoft, Swatch et McDonald's; et Jayson Mayer, un Américain de 17 ans, fabricant de logiciels. Aucun n'a terminé ses études secondaires. Aucun n'a besoin de travailler pour le reste de ses jours.
Qui a dit qu'il fallait transpirer pour réussir? À l'ère du fast-food et des pilules pour l'âme, le succès est un plat qui s'avale tout rond. Fini l'époque où le paradis consistait à avoir "une job steady et un bon boss". Aujourd'hui, on veut faire fortune et devenir célèbre. Tout de suite.
À la télé américaine, des quiz permettent à des citoyens ordinaires de gagner beaucoup d'argent en quelques heures. Même pas besoin d'avoir fait de longues études ou d'être calé en mathématiques: il suffit d'être doté d'une bonne mémoire et de passer plusieurs heures par jour devant le petit écran. Vous savez le nom de tous les maris d'Elizabeth Taylor ou le prénom de tous les frères Baldwin? Vous avez une chance de devenir riche. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Idem pour Star Ac, qui vous catapulte au sommet du show-biz en moins de deux.
Après, on se demande pourquoi il est difficile d'inculquer aux enfants le sens de l'effort et la fierté du travail bien fait. Regardez autour de vous: qui sont les héros de l'heure? Des rappeurs qui cassaient des nez avant de battre des records de vente; des athlètes professionnels payés plusieurs millions de dollars pour pousser une rondelle et blesser leurs adversaires; des entrepreneurs qui ont amassé des fortunes colossales en pitonnant sur leurs ordinateurs. "Vendez vos actions, achetez-en d'autres, et bingo! Vous pouvez passer "Go" et réclamer vos 200 millions de dollars…"
Voici quelques titres publiés au cours des derniers mois: How to Get the Best Grades With the Least Amount of Effort, Remarkable Returns With Minimal Effort, 130 Recipes That Make a Big Impression With a Minimum of Effort, Strategies for Becoming a Millionnaire Within a Year With No Effort, The No-Effort Exercise, Running Faster With Less Effort, Double Your Energy With Half the Effort…
Il y a quelques années, une étude dévoilait que 44 % des cégépiens consacraient moins de 45 minutes par jour à leurs études quand ils étaient au secondaire. "Les élèves n'apprennent plus l'importance de l'effort", s'est alors indigné J.-Jacques Samson, éditorialiste au Soleil.
Bof, pourquoi s'inquiéter? L'effort est une valeur en voie d'extinction. À en croire les nouveaux gourous, on peut maintenant maigrir en mangeant, faire de l'exercice en se berçant, étudier en dormant, gagner de l'argent en s'amusant.
Et prendre sa retraite avant d'avoir obtenu son diplôme.