Avez-vous une idole?
Moi, c'est Yves Montand. J'ai toujours aimé cet homme. Je le trouve brillant, intègre, talentueux. Une des grandes déceptions de ma vie est de n'avoir jamais eu la chance de le rencontrer. Je lui aurais posé mille et une questions – sur la vie, les femmes, la politique… Ça aurait été un moment extraordinaire, j'en suis sûr.
On dit souvent que les hommes manquent de modèle. Eh bien, mon modèle à moi, c'est Montand. Cet homme-là ne vivait pas: il dansait avec la vie, il lui faisait l'amour. J'aimerais avoir le millième de sa grâce, de son style.
Il y a quelques mois, un hebdomadaire français publiait des extraits de l'autobiographie du petit-fils d'Yves Montand. J'ai acheté le magazine et lu les passages concernant mon idole.
Je n'aurais pas dû.
J'ai appris que Montand était un monstre. Cruel envers sa femme, mesquin envers son petit-fils, méchant avec ses maîtresses. Un être fat, sot, égoïste. Je croyais que Montand était un grand homme. J'apprenais qu'il n'était rien de plus qu'un bouffon misogyne totalement imbu de lui-même.
La lecture de ce texte m'a laissé un drôle de goût dans la bouche. L'auteur disait peut-être la vérité. mais avais-je besoin de connaître tous ces détails sordides sur Montand? Pourquoi exposer son linge sale en public? L'homme est mort, qu'on le laisse reposer en paix, non?
Nous vivons à l'ère de la transparence. Nous voulons tout savoir sur tout le monde: l'orientation sexuelle du lecteur de nouvelles, les frasques de jeunesse du Premier ministre. Mais ces informations sont-elles vraiment nécessaires?
Qu'est-ce que ça me donne, moi, de savoir que Cary Grant était bisexuel ou que Woody Allen s'est comporté comme un goujat avec Mia Farrow? Ai-je besoin de connaître la vie intime d'un réalisateur pour apprécier ses films?
À force de s'intéresser à la vie privée des gens, on passe à côté des véritables enjeux. Prenez la politique, par exemple. Depuis quelques années, on passe la vie privée des politiciens au crible afin de savoir s'ils sont dignes ou non de notre confiance. Or, ce n'est pas parce qu'un homme se comporte mal avec ses proches qu'il ferait un mauvais chef d'État.
Tenez, je vous propose un petit test. Je présente trois politiciens, et vous me dites pour qui vous voteriez.
Candidat 1: Il fréquente des politiciens corrompus et consulte des astrologues. Il a eu deux maîtresses. Il fume comme une cheminée et boit une dizaine de martinis par jour.
Candidat 2: Il a été expulsé du Parlement deux fois, il dort jusqu'à midi, il a déjà fumé de l'opium au collège et il boit un litre de scotch chaque soir.
Candidat 3: C'est un héros de guerre décoré. Il est végétarien, ne fume pas, boit une bière de temps en temps et n'a jamais eu de relation extraconjugale.
Vous avez fait votre choix?
Le candidat 1 est Franklin D. Roosevelt. Le candidat 2, Winston Churchill. Et le candidat 3, Adolf Hitler.
Pas mal, non?
Un politicien célèbre, je ne me souviens plus qui, a déjà dit que les chefs d'État ont besoin d'une part de mystère pour gouverner. Plus on connaît les gens, moins ils nous semblent magiques et moins on a tendance à les investir d'un pouvoir particulier. Or, un chef d'État est un symbole. Il n'est pas censé être un Joe Blow ordinaire, mais l'incarnation d'un idéal, l'image que les électeurs se font de leur pays.
Je crois que c'est la même chose avec les parents. Les enfants n'ont pas besoin de connaître les moindres détails de la vie privée de leurs parents, les frasques qu'ils ont commises, les bêtises qu'ils ont faites. Un parent n'est pas un ami, mais un modèle.
Montand était un monstre? Too bad. Mais ça ne m'empêchera pas de continuer à l'admirer. Car ce n'est pas Montand l'homme qui me fascine. Mais Montand le mythe, Montand le monument.
Montand l'idole.