BloguesRichard Martineau

Fin de l’entretien avec Friedman

QUESTION: Certains travailleurs se retrouvent quand même sur le carreau…

RÉPONSE: C'est vrai. Malheureusement, on ne peut pas protéger les gens contre les changements, on ne pourra jamais construire un mur assez haut. Ce qu'on peut faire, c'est de les aider à prendre le virage technologique. On subventionne bien les fermiers: pourquoi ne subventionnerait-on pas les travailleurs qui ont besoin de se recycler? On pourrait aussi "racheter" les emplois en donnant 100 000 dollars à chacun, ou indemniser financièrement les victimes de mises à pied comme on le fait pour les victimes de catastrophes naturelles… Toutes sortes de solutions s'offrent à nous, mais de grâce, ne nous demandez pas de stopper la roue, c'est impossible. Impossible et non souhaitable, car la mondialisation fait beaucoup plus de bien que de mal.

QUESTION: Même dans les pays du tiers-monde, où les gens travaillent dans des fabriques de vêtements pour un salaire dérisoire?

RÉPONSE: Écoutez, c'est tout de même mieux que de vendre son corps aux touristes! Savez-vous pourquoi le sida est en hausse partout en Afrique, surtout chez les jeunes filles? Parce qu'elles n'ont pas de boulot et qu'elles n'ont d'autre choix que de se prostituer pour survivre. Oui, les travailleurs qui bossent dans ces usines ne sont pas bien payés; oui, leur salaire moyen fait pâle figure à côté du nôtre, mais c'est un début! Ils ont le pied dans la porte… Avec le temps, ils vont s'organiser, exiger des améliorations de leurs conditions de travail, demander un meilleur salaire – comme les travailleurs occidentaux. Mais d'ici là, au moins, ils ne tomberont pas comme des mouches. Les tenir à l'écart de la mondialisation sous prétexte qu'ils ne sont pas aussi bien payés que nos ouvriers, c'est les condamner à une mort certaine.

Et puis, ce n'est plus comme avant: les entreprises établies au tiers-monde sont tenues à l'oeil, il y a plein d'ONG qui surveillent leurs moindres faits et gestes. Celles qui profitent de la situation pour exploiter leurs employés sont dénoncées, traînées dans la boue et boycottées par les consommateurs…

Contrairement à ce qu'on pense, la mondialisation ne profite pas qu'aux membres du G7. Savez-vous quels sont les pays qui connaissent la plus forte croissance économique actuellement? Le Mozambique et le Botswana. Pourquoi? Parce que leurs gouvernements ont adopté des politiques qui attirent les investisseurs. Pendant ce temps, le Zimbabwe, situé juste à côté, s'enfonce dans la dèche en s'accrochant à un socialisme archaïque… C'est ça, la mondialisation: une prise de courant. Si on se branche, on se connecte à un réseau qui galvanise l'économie. Sinon, rien ne se passe.

QUESTION: Bref, vous voyez la vie en rose!

RÉPONSE: J'ai voyagé, moi, j'ai vu ce qui se passait dans le monde! Je ne me contente pas de feuilleter des magazines ou de surfer dans Internet… Je suis allé au Sri Lanka, et j'ai visité les usines de Victoria's Secret et de Marks & Spencer, des usines bien tenues qui traitent correctement leurs employés. Qui a permis d'ouvrir ces usines là-bas? Les syndicats américains? Non: la mondialisation.

N'en déplaise aux militants qui manifestaient à Seattle, c'est la mondialisation qui a débarrassé l'Iran de son gouvernement extrémiste; c'est la mondialisation qui a libéré l'Indonésie des griffes de Suharto, et c'est elle qui a remis la Corée sur le chemin de la démocratie.

QUESTION: Vous chantez les vertus de l'ouverture sur le monde. Mais s'il y a un pays qui reste fermé aux autres cultures, c'est bien les États-Unis!

RÉPONSE: Effectivement, nous consommons peu de produits culturels étrangers. Par contre, nous importons des gens par millions! Nous n'aimons peut-être pas le curry, mais nous adorons les ingénieurs indiens. Nous n'aimons peut-être pas les rouleaux impériaux, mais nous adorons les créateurs de logiciels chinois. En ce qui concerne la matière grise, nous sommes les maîtres du repêchage…