BloguesRichard Martineau

Dans le rouge

L'homme, on le sait, est de moins en moins esclave de la nature. On peut changer la couleur de nos cheveux, la longueur de notre nez, même notre sexe! Grâce aux miracles de la microchirurgie, on pourra même bientôt se faire transplanter la face d'un mort.

Ces avancées technologiques posent une question cruciale: y a-t-il des limites à jouer avec Mère Nature?

Prenez les menstruations. Rien de plus naturel que ce phénomène biologique. Rien de plus encombrant, aussi. Vous avez mal au ventre, vous devez porter des tampons ou des serviettes, votre humeur monte et descend, votre performance au travail fluctue. Le jeu en vaut-il la chandelle? Pourquoi une femme supporterait-elle d'être menstruée tous les 28 jours si la technologie lui permet de se libérer des contraintes que la nature lui impose?

Les féministes sont divisées sur la question. Certaines disent que le cycle menstruel fait partie intégrante de la féminité, et que stopper ce cycle équivaut en quelque sorte à gommer les différences sexuelles et à transformer les femmes en hommes. Alors que d'autres pensent qu'il n'y a rien de naturel dans les menstruations.

C'est le cas du professeur Patricia J. Sulak, une gynécologue de renom qui pratique au Texas. Selon madame Sulak, cette perte régulière de sang est inutile et dangereuse. Plus une femme est menstruée, plus elle risque de développer des cancers ovariens et utérins.

«Avant, écrit Patricia J. Sulak, les femmes tombaient enceintes très jeunes, alors qu'elles sortaient tout juste de l'adolescence. Elles avaient plusieurs enfants, allaitaient entre chaque accouchement (ce qui stoppe les menstruations) et commençaient leur ménopause à quarante ans. Une femme pouvait avoir 50 cycles menstruels dans une vie, alors qu'aujourd'hui, à cause de notre nouveau style de vie, ce nombre a grimpé à 450! Ce qui était naturel il y a 100 ans ne l'est plus du tout.»

Il y a quelques années, Patricia J. Sulak aurait passé pour folle. Mais aujourd'hui, de plus en plus de femmes partagent son point de vue. Partout aux quatre coins de la planète, des spécialistes appuient le mouvement anti-menstruation et demandent à ce qu'on éduque les jeunes filles sur les bienfaits de cette théorie.

Eh bien, j'ai une excellente nouvelle pour madame Sulak: elle pourra bientôt compter sur l'aide de plusieurs dizaines d'hommes québécois.

L'autre jour, en prenant une bière dans un endroit enfumé, j'ai parlé de ses théories avec mes amis, et ils sont tous d'accord pour lui donner un coup de main. Tous, sans exception, trouvaient que c'était une idée géniale. Il y en a même un qui veut soumettre la candidature de madame Sulak pour le prochain prix Nobel de la Paix.

Imaginez. Plus de PMS! Plus de sautes d'humeur! Le sourire 365 jours par année! C'est pas beau, ça? Non seulement le taux de divorce chutera-t-il de façon dramatique, mais la planète respirera mieux. Plus de tampon à jeter, plus de serviettes hygiéniques à recycler. Alleluia!
Pourquoi n'y a-t-on pas pensé avant?

Il y a quelques semaines, dans le cadre d'une émission de télé que je co-anime sur les ondes de Télé-Québec, je discutais avec trois lesbiennes. Elles me disaient comment c'était génial de vivre – et de coucher – avec une femme.
«Mais y a-t-il un inconvénient? leur ai-je demandé en toute innocence.
– Oui, m'ont-elles répondu. On a nos règles en même temps. Quand ça arrive, c'est l'enfer. Il faut que l'une des deux aille coucher à l'hôtel. Dans ces moments-là, on regrette de ne pas vivre avec un homme.»

Par respect pour mes invitées, je me suis retenu de ne pas sourire. J'ai gardé un visage impassible. Mais je dois vous l'avouer: en dedans, je hurlais de joie. Enfin, des femmes partageaient notre désarroi!

Je crois que je vais envoyer une copie de cette entrevue à madame Sulak. Avec un chèque. Gracieuseté des hommes – et des lesbiennes – du Québec.