Ainsi, si l'on en croit les sondeurs, Lucien Bouchard serait (de nouveau) le Sauveur du Québec. La majorité des Québécois voteraient pour lui s'il se présentait aux prochaines élections.
Eh oui: Lucien Bouchard.
L'homme qui a coupé 900 millions de dollars dans le système de santé.
Monsieur virage ambulatoire.
Mister Déficit zéro.
Dire qu'on se promène avec des plaques d'immatriculation qui disent: "Je me souviens."
Ah oui, on se souvient? Je nous trouve plutôt amnésique… C'est peut-être pour ça qu'on inscrit notre credo sur nos plaques: parce qu'on a la mémoire courte, parce qu'on a tendance à oublier.
Tenez, voici un texte que j'ai écrit sur Lucien Bouchard en septembre 1996. Juste pour nous rappeler comment c'était quand Lulu dirigeait la province…
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UN HOMME ET SON PÉCHÉ
Dans son dernier numéro, le magazine L'actualité, sous la plume de son journaliste Michel Vastel, nous apprend que Lucien Bouchard vit terré comme un moine dans une petite chambre du sinistre bunker de Grande-Allée avec, pour seuls compagnons, une lampe de secours, une télé qu'il n'allume jamais et un petit lit de camp. Le soir, après ses quinze heures de dur labeur, il prend un petit ascenseur en compagnie de ses deux gardes du corps, traverse un étroit couloir encombré de boîtes de carton, et s'enferme dans sa cellule austère, où il broie du noir jusqu'à l'aube.
Il n'ouvre jamais une bouteille de vin. Il ne voit presque pas sa famille. Il combat la déprime.
Bref, le gros party.
On savait que Lucien Bouchard avait un faible pour la prédication. On savait également qu'il était un fervent catholique, pas très chaud à l'idée de sortir les crucifix des écoles, et respectueux de la hiérarchie de l'Église (il faut voir à quelle vitesse il s'est empressé de renoncer à sa pension de député fédéral dès qu'un évêque a fait la moue). On apprend maintenant qu'il a une âme de martyr.
«Je souffre pour que vous puissiez obtenir le salut…»
On a eu Ti-Poil, l'américanophile moyen qui roulait vers l'Indépendance au volant de sa Chrysler Reliant achetée à crédit. On a eu Monsieur Parizeau, qui possédait une Cadillac de l'année avec chauffeur costumé. Maintenant, on a Lulu, qui traverse le désert en marchant, un bâton de pèlerin à la main et des sandales de cuir aux pieds.
Old Orchard, Québec inc., le coeur du frère André.
Les trois mamelles de l'imaginaire québécois.
Si au moins Lucien Bouchard sablait le champagne entre deux coupures dans le système d'éducation, comme tout politicien qui se respecte, on pourrait se réveiller la nuit pour le haïr. Mais non: il fait des crises d'angoisse, et dort sur la paille. Qu'est-ce qu'on peut faire, dans ce cas-là? Rien.
Rien, sauf s'agenouiller à ses côtés et accepter, nous aussi, de faire des sacrifices.
Pendant le Sommet socio-économique de mars 96, Lucien Bouchard parlait de la catastrophe qui nous attendait au tournant du XXIe siècle si l'État québécois refusait d'assainir les finances publiques:
«Nous sommes à la veille de devoir rogner sur notre qualité de vie, sur notre solidarité, et sur notre esprit de famille. Nous sommes à la veille de devoir être regardants, pingres, grincheux. Nous sommes à la veille de ne plus nous reconnaître, nous, Québécoises et Québécois, qui aimons être différents, être libres, être bien et avoir toujours une place à table pour un parent, un ami, un voisin arrivé à l'improviste. Nous sommes à la veille d'être des Séraphin Poudrier. Et moi je dis: «Jamais ça! Jamais!»» (tiré de Lucien Bouchard mot à mot, un savoureux recueil de citations paru récemment chez Stanké).
Six mois et de multiples coupures plus tard, qui est en train de ressembler au célèbre grincheux des Pays d'en haut? Lucien Bouchard lui-même!
Tel un vrai Sauveur, il a sacrifié son âme (et sa tranquillité d'esprit) pour le bien-être de son peuple. Il a fait voeu de pauvreté pour que nous puissions continuer d'être heureux. Il a renoncé aux biens terrestres pour que nous puissions continuer d'être libres. Il a courbé l'échine pour que les générations futures puissent lever la tête.
C'est pas admirable, ça?
Alors, brebis et agneaux, la prochaine fois que vous entendrez le mot «compression», avant de sortir vos pancartes, de descendre dans la rue et de pester contre le premier ministre, dites-vous que c'est beaucoup plus dur pour lui que pour vous.
Voyez-vous, si Lucien Bouchard coupe neuf cents millions de dollars dans le système de santé, s'il diminue vos prestations d'assurance sociale, s'il augmente le loyer des HLM, ce n'est pas parce qu'il vous veut du mal; au contraire: c'est parce qu'il veut votre bien (et qu'il est déterminé à l'avoir, coûte que coûte, dût-il porter une couronne d'épines et boire du vinaigre).
Parce qu'il veut vous mener à la Terre promise.
Parce qu'il a une mission à accomplir. Alors que vous et moi n'avons qu'une vie à vivre.
Avant de t’énerver le poil des jambes Martineau, prends donc le temps de respirer par le nez ! C’est juste dans l’air. Pas dit que Bouchard va sauter dans l’arène politique, parce que des sondages disent que…
On peut faire dire ce qu’on veut aux sondages. L’opinion publique est molle, je dirais même que c’est une feuille au vent. Justement, le vent souffle et tu t’agites comme une mégère.
On disait de Charest quand il a été élu, que ce serait le pire premier ministre. Ah oui ??? J’ai lu dans la chronique de Lise Payette qu’elle considérait le gouvernement Charest comme le plus mauvais, mais elle peut bien parler, comme politicienne, elle valait pas chère. Elle n’a pas fait long feu d’ailleurs.
D’ailleurs, pour te rassurer, un sondage, un autre disait que les gens ont pas plus confiance dans les politiciens que dans les vendeurs d’autos usagées. Alors, c’est pas Bouchard qui va changer grand chose.
À moins que ce soit le fait que s’il dirigeait l’ADQ, il aurait gagné si des élections avaient eu lieu, là, maintenant… Ben oui, ben oui !!! On sait ce que cela donne. Quand arrive les vraies élections, le vent tourne.
On a bien élu un gouvernement minoritaire au fédéral. Le lendemain des élections, les gens disaient que c’était la meilleure manière de contrôler le gouvernement. S’il fait des gaffes, il perd sa place. Qu’importe qu’on soit en élections à tous les ans, l’important c’est que le peuple ait le sentiment qu’il contrôle la situation.
Les politiciens sont comme les vendeurs à commission. Faut qu’ils garantissent le produit, avec un bon service après-vente, pour satisfaire la clientèle.
Alors, ne venez pas me parler de centre-droite et d’extrème-gauche, les gens ne savent pas ce que c’est, pas plus qu’ils ne lisent les programmes des partis. Ce qu’ils veulent rien d’autre que s’enrichir, quitte à fourrer le gouvernement comme les Bougon.
Comme faire l’indépendance avec une mentalité pareille ?
On reproche souvent aux politiciens de ne pas vouloir prendre de décisions de peur de choquer l’électorat, et ce, même si c’est pour notre « bien » comme vous le dites de façon péjorative.
Le Québec risquait la décote au moment où vous écriviez ces lignes. M. Bouchard a eu le courage politique de prendre des décisions impopulaires afin d’éviter un véritable gâchis économique. Et vous savez quoi ? Les gens lui en sont maintenant reconnaissants, car il savait ce qu’il faisait. Sinon, comment interprétez-vous le résultat de ces sondages, mis à part le fait que M. Bouchard était l’un des trop rares premiers ministres du Québec à avoir une colonne vertébrale ? Malheureusement, il a pris sa retraite un peu trop vite.
Évidemment, il est beaucoup plus facile de critiquer et de s’en prendre personnellement à l’individu plutôt que de regarder la réalité en pleine face, comme de trop nombreux Québécois ont fait lorsque le Manifeste pour un Québec lucide est sorti. Trop de Québécois pensent que nous habitons chez Alice au Pays des Merveilles.
M. Martineau,
L’ironie encore une fois, mais encore une fois, trop peu de substance. SVP, cessez les copier-coller de vos vieilles chroniques. Dites-nous plutôt pourquoi le retour de Lucien Bouchard serait si catastrophique? Il me semble pourtant évident qu’à côté de lui, comme homme d’État, ni Boisclair, Charest ou Dumont ne fait le poids. Vous savez pourquoi Bouchard plaît? Parce que c’est un homme qui incarne le courage. Il n’a pas reculé face aux décisions difficiles. Autre qualité, il n’est pas dogmatique, mais pragmatique. Avec lui, il n’y aurait pas de risque de se lancer tête première dans un autre référendum, juste pour faire un autre référendum. D’un autre côté, il n’y aurait pas de risque de le voir signer la constitution à rabais, comme c’est le cas avec Charest. On peut rire ou s’offusquer du manifeste qu’il a co-signé, mais il montre bien son côté réaliste. Travaillons à nous renforcir collectivement, c’est encore le meilleur moyen de donner une chance de survie à ce peuple. Malheureusement, le problème pour bien des Québécois, ce n’est pas la mémoire. Ils se souviennent très bien de la douceur de l’État-Providence. Le problème des Québécois en est un de volonté, d’effort et de responsabilité. C’est difficile de se faire demander cela. Moi je trouve plutôt réconfortant qu’un « baby-boomer » comme lui tienne un tel discours.
M.Martineau,
Vous ne risquez pas d’avoir trop mal au genou. Je partage bien votre avis. Moi, je me souviens. Il me semble encore l’entendre à la radio, nous sermonner sur les sacrifices que nous aurions à faire. Ça résonnait tout au fond de moi comme un » ATTENTION ÇA VA VOUS FAIRE MAL ». Effectivement ça faites mal à bien du monde. Le système de santé après les fameuses retraites anticipées ne s’en ait porté que plus mal,(un peu comme une hémorragie). Tout ceux qui sont restés ont du accomplir le travail de ceux qui sont partis. Je ne suis pas certaine qu’au bout du compte il y ait eu des économies, ceux que l’on a dû rappeler et qui ont été payés temps double et ceux qui se sont tapés des burn-out, ceux qui se sont suicidés, car il y en à eu. Je serais curieuse de connaitre les véritables coûts de ce désastre.
Tant qu’à moi, et ce sans chagrin, Séraphin peut se tenir bien loin.
J’ai oublié de dire qu’avec son manifeste pour un Québec lucide, Lucien Bouchard n’a fait que renforcer ma pensée à l’effet qu’il protège bien plus les intérêts de l’élite québécoise que ceux du peuple, qui à mon avis, après cette bonne claque en arrière de la tête n’est plus tout à fait à genou mais bien à plat ventre par terre.
Tout un sauveur! Et dire qu’il y en a qui en redemande.